– Les lieux de sépulture
Le CIMETIERE des ORIGINES
Difficultés liées au sol, au climat, à l’éloignement
La tradition chrétienne d’installer le cimetière contre l’église est conservée aujourd’hui encore par quelques communes. A Compains où l’église et son cimetière sont bien antérieurs au château sis à Brion, tous devaient être inhumés au “chef-lieu”, c’est à dire au bourg. Durant des siècles, certains furent enterrés dans le cimetière attenant à l’église du côté du midi et du levant, les autres dans le transept du sanctuaire.
De la royauté à la République, tous les régimes avaient relayé les décisions des synodes et des conciles et à de multiples reprises, on avait enjoint aux paroisses de ne plus inhumer dans les églises et de déplacer le cimetière loin des habitations pour limiter les risques sanitaires. Sans grand succès. Après la Révolution, beaucoup de petites communes n’obtempérèrent toujours pas à ces injonctions d’intérêt général. Le coût prévalait sur l’hygiène. A Compains, ce sera seulement dans les années 1930 qu’on transfèrera le cimetière au nord du bourg au bord de la route qui conduit à Besse.
Un emplacement peu propice et trop exigu
L’emplacement du cimetière le long de l’église était peu apte à recevoir des défunts. Posé sur la roche de la cheire descendue du Montcineyre, sa situation rendait difficile le creusement des caveaux et interdisait même de creuser aussi profondément que nécessaire lors des inhumations. Lorsque la commune atteignit son pic démographique – près de 1000 habitants en 1886 – les tombes trop rapprochées se bousculaient dans le petit cimetière. En outre, la faible profondeur des fosses posait un problème car la coutume habituelle d’inhumation était peu hygiénique : depuis des temps immémoriaux on enterrait dans le même espace de terrain tous les membres d’une même famille, quelle que soit la date du décès du défunt précédent.
Tombes face à la porte méridionale de l’église (vers 1920)
Un architecte dressait dans la seconde moitié du XIXe siècle le tableau peu hygiénique de la situation : “la profondeur moyenne des fosses est d’un mètre [et] lorsque le terrain sera affaissé il n’y aura pas quarante centimètres entre le cadavre en putréfaction et les personnes qui, le dimanche, attendent dans le cimetière l’heure de la messe”. Selon les élus locaux, le climat froid de la commune aggravait encore les choses en retardant la décomposition des corps durant 12 à 15 ans. Insuffisamment enterrés, les ossements restaient ainsi exposés à la vue des passants. En période d’épidémie ou de crise alimentaire meurtrière, quand les inhumations étaient rapprochées, on conçoit les conséquences sanitaires d’autant que pour entrer dans l’église on devait traverser une partie du cimetière.
De plus, en un temps où une froidure plus âpre qu’aujourd’hui s’étirait durant cinq ou six mois, décéder l’hiver dans les montagnes pouvait être synonyme d’inhumation dans l’église faute d’avoir pu creuser le sol gelé ou encore d’inhumation différée par manque de porteurs. On verra qu’on en venait parfois à placer les morts sur le toit des habitations dans l’attente d’un redoux.
Croix de l’ancien cimetière
Des défunts très éloignés du cimetière
La paroisse était riche d’une quinzaine de villages dispersés dont beaucoup étaient fort éloignés de l’église. Pour ceux qui devaient venir d’Espinat, Redondel, Graffaudeix ou Moudeyre, c’était sept à huit kilomètres qu’il fallait parcourir sur de mauvais chemins en suivant jusqu’à l’église la charrette où était placé le défunt.
Les relevés des registres de sépultures tenus par le curé ne montrent pas d’attirance particulière des paroissiens de ces villages éloignés pour une inhumation à Egliseneuve d’Entraigues. Les comptages effectués montrent au contraire de rarissimes cas d’inhumés à Egliseneuve qui semblent relever davantage du concours de circonstances que d’une volonté délibérée de na pas se rendre jusqu’à l’église paroissiale. Avant que la Révolution ne vienne tout bouleverser, il semble qu’il ait existé un fort sentiment d’appartenance des ruraux à leur paroisse et que leur volonté d’être inhumés au tombeau de leurs prédécesseurs l’ait emporté, quitte parfois à différer l’inhumation en plaçant momentanément le défunt sur le toit de l’habitation.
Les morts sur le toit
Quand la distance rendait trop aventureuse la conduite du défunt jusqu’au cimetière, la famille différait l’inhumation. Enveloppé dans un solide linceul, le défunt était hissé sur le toit de la chaumière, à l’abri des animaux errants. Cette solution d’attente imposée par le climat était pratiquée couramment dans le Cézalier comme dans beaucoup de pays de montagne avant l’apparition des engins de déneigement.
“La Marion”, arrière-grand-mère (1836-1924) de l’auteure de ces lignes, fut ainsi hissée sur le toit de chaume de la maison d’Artoux où elle avait fini ses jours, dans l’attente du dégel qui permettrait de l’ensevelir dans le cimetière alors situé près de l’église de Saint-Alyre-ès-Montagne.
Le chemin des morts
Non loin du cimetière actuel arrive l’ancien chemin descendu du hameau de Chaumiane par lequel on conduisait les défunts à leur dernière demeure. Ce chemin porte aujourd’hui encore le nom de “chemin des morts”. Son tracé remonte sans doute au Moyen Âge puisqu’il est avéré qu’il existait des manses à Chaumiane en 1349.
De Chaumiane au bourg : le chemin des morts
L’accueil des inconnus
Lors des famines ou, plus souvent encore à l’occasion de crises climatiques, il n’était pas rare de trouver des inconnus “morts dans la montagne”. Dans le doute quant à la catholicité du défunt, certains curés leur refusaient une sépulture chrétienne. Aucun cas de ce type n’a été retrouvé à Compains et dans les villages voisins, bien au contraire.
Lors de la famine de 1692-1693, Gabriel de Chazelles, curé de Compains, ne manqua pas de faire preuve de charité chrétienne. Il écrit dans le registre paroissial des sépultures qu’il “a été enseveli dans le cimetière de Compains un enfant âgé d’entour sept à huit ans qui s’est trouvé mort dans ladite montagne de Luysserre par le mauvais temps ou par la faim”. Pour le curé, il n’a pas été question de refuser une sépulture chrétienne à cet enfant pourtant inconnu de tous au village.
Le coût de l’enterrement
L’Eglise incitait les curés à modérer le coût des enterrements qui étaient tarifés suivant quatre catégories sociales. Un premier groupe comprenait les nobles, officiers de baillage, officiers royaux, avocats et médecins. Dans le deuxième groupe on trouvait divers notables, procureurs, greffiers, notaires, bourgeois et gros marchands. Les juristes, gens de médecine, commerçants, artisans et gros laboureurs composaient le troisième groupe. Le quatrième groupe était constitué du menu peuple, petits paysans, manouvriers, domestiques et autres.
Faute de textes, on ne peut établir avec précision le tarif des enterrements pratiqué au fil du temps par les curés de Compains. Ce qui est sûr, c’est que le curé Pierre Besson, sachant ses ouailles peu fortunées, se gardait de leur réclamer le paiement immédiat de l’enterrement. Ainsi, François Boyer après la mort de sa femme Marguerite Grouffaud (1759) et de son fils Michel Boyer (1763) paya-t-il en huit termes les frais d’enterrement dus au curé qui lui en donna à chaque fois quittance.
Des conditions d’hygiène déplorables
Un entretien coûteux
A Compains, si le froid conservait les corps du cimetière, les intempéries détruisaient les constructions et en particulier le mur de clôture du cimetière dont l’état dégradé fit couler des flots d’encre durant plus de deux siècles.
Une ordonnance royale de 1695 établissait un partage du coût des travaux à l’église et au cimetière entre les bénéficiaires de la dîme et les habitants de la paroisse. Curé, nobles et certains bourgeois de la paroisse devaient entretenir le chœur de l’église alors que la communauté des habitants devait entretenir le cimetière, le presbytère et la nef. La clôture du cimetière incombait dorénavant aux luminiers de la fabrique qui devaient trouver de l’argent pour faire réaliser les travaux. Ce qu’ils ne pouvaient faire faute d’intérêt et de moyens.
Un cimetière mal clos
Mal placé, trop exigu, mal entretenu, le cimetière fut de tous temps mal clos. Les témoignages des religieux déplorent qu’il soit fréquenté par toutes sortes d’animaux, des conditions sanitaires indignes qui n’émouvaient pas plus les habitants que leurs consuls, ni plus tard les maires.
Emplacement de l’ancien cimetière au pied de la tourelle
Quand la paroisse était visitée par l’évêque ou son représentant venus lors d’une visite pastorale s’informer de l’état matériel et moral de la paroisse, le religieux déplorait que l’entretien du mur du cimetière fût négligé par les paroissiens. Pour conserver leur dignité aux sépultures et éviter la divagation des animaux parmi les tombes, le prélat exigeait que le cimetière fût clos de murs suffisamment hauts et bien entretenus. La visite pastorale de 1634 révèle un cimetière sans porte ni grilles “pour empecher que les bestiaux n’y entrent”. Persistant en 1700 après la grande misère des années 1690, ce défaut semble réparé en 1727 et 1735 lors des visites de Jean-Baptiste Massillon évêque de Clermont.
Après que le transfert des cimetières hors des villes et des bourgs ait à nouveau été ordonné en 1776, une situation critique s’était réinstallée en 1782 : murs trop bas, portes absentes, rien n’était plus fait depuis longtemps “pour en défendre l’accès aux animaux”. Durant le Premier Empire, un nouveau texte n’eut pas plus de succès jusqu’en 1843 quand la décision d’interdire les cimetières dans les agglomérations s’applique enfin à toutes les communes, mais avec des dérogations. En 1855, Compains n’avait encore aucun équipement collectif, ni mairie, ni école, et l’idée même de déplacer le cimetière soulevait des polémiques.
Les tombes du cimetière au dessus du mur de clôture
carte postale d’un soldat mobilisé, datée 1915
Vaines injonctions du préfet
Soucieux de préserver l’ordre public, le préfet du Puy-de-Dôme craignait pour “la salubrité et la décence publique”. La préfecture envoyait au maire des rappels à la loi et envisageait de pratiquer les inhumations dans l’ordre des décès et non plus par groupe de famille. Surtout, elle songeait à se passer de l’accord des habitants pour déplacer le cimetière dans un lieu plus spacieux et éloigné des habitations. Un architecte considérait que le cimetière constituait “un foyer insalubre” et que “partout des ossements blanchis couvrent la surface du terrain”.
Alors qu’on comptait 910 habitants à Compains en 1855, l’architecte estimait le cimetière trop exigu eut égard aux 35 décédés qu’on y inhumait chaque année. Un recomptage des sépultures amène à réviser à la baisse ces allégations. Voulant convaincre, l’architecte doublait le nombre des morts : entre 1845 et 1870 on ne comptait en moyenne chaque année dans la commune que dix-huit inhumations et non trente-cinq, ce qui bien sûr au plan sanitaire, ne changeait rien au fond du problème.
Forêt de tombes derrière le mur du cimetière
carte postale des années 1920
Le conseil municipal fait de la résistance
Les tentatives du préfet pour délocaliser le cimetière soulevaient une vive opposition chez les compainteyres. Se fondant sur les pratiques “immémoriales” de la commune, le maire et son conseil exprimaient leur plus vive opposition à la translation des tombes estimant “qu’il n’y a pas dans le village de maladies épidémiques et qu’on y vit aussi longtemps qu’ailleurs”. Les élus alléguaient qu’avant 1792 les compainteyres étaient beaucoup plus nombreux puisque la commune comprenait cinq villages de plus – ceux rattachés à Egliseneuve [voir le chapitre Population et territoires”] – et que personne ne s’était jamais plaint de l’état du cimetière. Ils estimaient enfin que la commune “très pauvre” aurait des difficultés à financer ce déplacement.
Des travaux furent enfin entrepris en 1883 pour relever le mur de clôture du cimetière. De passage à Compains, Jean-Baptiste Vendioux, un entrepreneur de travaux publics, maître maçon originaire de la région d’Aubusson dans la Creuse, avait épousé en 1862 à Compains Antoinette Boyer, fille d’Antoine Boyer dit “l’héritier” et de Michèle Laporte. Ces attaches à Compains lui valurent la confiance de la mairie qui lui confia la relève du mur du cimetière.
Abords de l’église réaménagés après le transfert du cimetière (v. 1960)
Des INHUMATIONS selon le STATUT SOCIAL
Les uns dans l’église, les autres au cimetière
Le lieu d’inhumation variait selon le statut social de chacun. Le villageois modeste qui faisait – rarement – un testament souhaitait classiquement “qu”après que son ame ait été séparée de son corps”, on pratiquât une inhumation “au tombeau de ses prédecesseurs”, c’est à dire dans le cimetière placé au plus près de l’église.
Réservé aux religieux de la paroisse, au seigneur et aux gens “les plus accomodés“, deux autres lieux d’inhumation accueillaient les morts sous les dalles du transept de l’église Saint-Georges.
Le transept nord pour les religieux
Curés et vicaires furent pendant des siècles enterrés dans le transept nord devant l’autel de Notre Dame du Rosaire. Pour respecter la dernière volonté exprimée dans son testament, Jean Breulh, vicaire puis curé à Compains durant 40 ans, y fut enseveli en 1740 : “a esté inhumé dans leglize de Compains et dans la chapelle du Rosaire, messire Jean Breulh, pretre et curé dudit Compains”.
Transept nord – Lieu d’inhumation des religieux
Vicaires et prêtres communalistes (c’est à dire fils d’habitants de la paroisse devenus prêtres, on les nommait aussi filleuls), bénéficiaient eux aussi de l’inhumation dans la chapelle du Rosaire. Ainsi, le 4 août 1709 le curé Breulh inscrivait-il dans le registre paroissial le décès de Jacques Golfier, prêtre “communaliste et vicaire”, inhumé dans l’église de Compains. En 1746, c’est François Eschavidre, “pretre-filleul et vicaire de ceste église” de Compains, né en 1714 qui, “en présence de messire François Conches prêtre communaliste de l’église collégiale de Saint-André de Besse”, est enterré dans la chapelle du Saint Rozaire.
Le transept sud pour les laïcs “accommodés”
Un arrêt du parlement avait interdit en 1670 les inhumations dans les églises, sauf pour les propriétaires d’enfeu (niche pratiquée dans le mur d’une église pour recevoir un tombeau). En 1676, un texte royal renouvelait cette interdiction pour tous, à l’exception des privilégiés, généralement nobles, qui avaient eu jusque-là le droit d’être “ensépulturés” dans le chœur de l’église.
Mort en 1676, Jean de Laizer, acheteur de la seigneurie de Compains, Brion et Chaumiane, avait souhaité dans son testament être inhumé dans l’église Saint-Georges où le suivit en 1687 Jeanne de Bonnafos, son épouse. Avoir sa sépulture dans l’église était un privilège recherché aussi bien par les nobles que par les non-nobles. Les Laizer n’ont pas fait construire d’enfeu dans l’église et le lieu précis de leur sépulture n’est pas renseigné. On peut penser qu’il se situe dans le chœur ou dans le transept sud, au pied de l’autel alors dédié à Saint-Martial, un saint du terroir qu’on invoquait en temps d’épidémie. Pour le seigneur et sa famille qui l’y suivait parfois, l’inhumation dans l’église fut le moyen d’affirmer par-delà la mort la mainmise de sa famille sur la seigneurie nouvellement acquise. C’est là également que fut inhumé Etienne André de la Ronade, seigneur d’Escouailloux, mais aussi plusieurs compainteyres, du moins ceux qui en avaient les moyens, car avoir sa tombe dans l’église était une pratique tarifée qui représentait un certain avantage financier pour le curé de la paroisse.
Probablement à cause de la disparition des grandes épidémies qui frappaient les humains, on changea au XVIIIe siècle la dédicace de cet autel qu’on retrouve en 1782 dédié à saint Blaise, un saint dont le pouvoir de guérison s’étendait aux animaux alors fortement atteints par les épizooties. Ce transfert de dédicace est acté depuis au moins 1770, date à laquelle Jean Chandezon donne 80 livres par testament pour “aider à faire un rétable à l’autel de Saint-Blaise dans l’église de Compains”. L’intercession de saint Blaise protecteur des animaux avait sans doute semblé plus nécessaire que le recours à l’apôtre Martial, pourtant réputé lui aussi guérir les épidémies.
Parmi les ruraux inhumés dans la chapelle Saint-Martial, citons en 1658 Pierre Martin, laboureur de Marsol et plusieurs Morin, une famille longtemps influente à Compains. Une branche des Morin exerçait la profession de notaire, procureur d’office ou lieutenant à Compains et dans d’autres villages proches. Ils avaient choisi l’inhumation dans l’église comme, par exemple en 1663, les parents “d’honorable homme” Jean Morin, notaire royal, qui furent ensevelis “dans la nef de l’église joignant le pilier qui est à main droite de la chapelle Saint-Martial où est la petite porte de l’église montant au clocher”. Un gros laboureur de la paroisse, Jean Morin Nabeyrat, y sera inhumé en 1689.
Le CIMETIÈRE NOUVEAU
Enfin, le transfert
Au début du XXe siècle, les injonctions de l’Etat aux communes pour qu’elles procèdent au transfert de leur cimetière restaient encore souvent lettre morte dans beaucoup de communes. Compains résista jusqu’à l’entre- deux guerres, époque on trouva enfin au nord du village un terrain propice pour le nouveau cimetière municipal, au bord de la route de Besse.
Compains – le nouveau cimetière
Lors du transfert, la croix de l’ancien cimetière ne suivit pas les défunts. Une nouvelle croix monumentale fut installée au centre du nouveau cimetière. On a vu que l’ancienne croix est aujourd’hui placée dans le transept nord de l’église.
Ancienne tombe du nouveau cimetière
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