– Obstacles aux déplacements
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DES COMMUNICATIONS PEU SÛRES
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Les grands réseaux routiers évitent les montagnes
En dépit du trafic saisonnier intense qui sillonnait épisodiquement le Cézalier lors des foires, les montagnes occidentales restèrent évitées par les routes importantes jusqu’à la fin du XIXe siècle. En un temps où les grandes routes n’irriguaient que modérément le royaume, le réseau de routes vraiment praticables contournaient soigneusement les massifs auvergnats, seulement traversés par des chemins ruraux de desserte locale. Les chemins vicinaux très fréquentés lors des foires, mal entretenus et “rompus…ruinaient les bestiaux et brisaient les voitures”, constatait en 1804 l’abbé Ordinaire. Le réseau était en outre bien souvent victime de maux récurrents consécutifs au caractère des paysans qui n’hésitaient pas à pratiquer des empiétements pour étendre leurs cultures sur les chemins.
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Mauvais état général des chemins…
Pour se déplacer à travers les mauvais chemins des montagnes occidentales, encore fallait-il prendre certaines précautions liées tant au relief qu’au climat. On devait aussi éviter les chemins propices aux mauvaises rencontres toujours possibles sur certains itinéraires. S’ajoutaient à ces causes évidentes bien d’autres causes de blocages, les unes liées au manque d’intérêt des dirigeants pour développer l’économie montagnarde, d’autres bien plus anciennes étaient liées à des mentalités sensibles à la pesanteur des traditions, alors que certaines pouvaient être la conséquence de l’évolution des modes d’exploitation.
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… déploré par les intendants
Soucieux de développer le commerce de leur province, tous les intendants déploraient les difficultés qui frappaient l’Auvergne sans avoir les moyens d’y remédier. Diligentés par les intendants à la demande du contrôleur général à Versailles, des enquêtes et des mémoires sur l’état de l’Auvergne se succèdent aux XVIIe et XVIIIe siècles pour mieux faire connaitre la situation générale de la province. Sans détours, l’intendant Bidé de la Granville décrit en 1724 une situation paradoxale : “nous sommes dans un païs très abondant qui sert de communication à plusieurs provinces…les chemins sont presque impraticables depuis le Limousin jusqu’en Auvergne…tous [les chemins] de la Haute Auvergne sont absolument impraticables…ce n’est que par la facilité des chemins que l’on peut trouver le débouché de nos denrées…mais il faudrait de gros fonds pendant plusieurs années pour les accommoder”. Après la publication de son Mémoire instructif sur la réparation des chemins, le contrôleur général Orry lança en 1738 un programme de grands travaux routiers qui ignorait les montagnes.
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Les menaces climatiques
D’évidence, on évitait de se déplacer durant la mauvaise saison, moment de léthargie générale en pays de montagne déserté par les hommes partis en émigration hivernale. Qui n’a pas entendu raconter par ses ascendants l’anecdote du tunnel qu’il fallait creuser dans la neige pour sortir de sa maison ? Et qui n’a vu aujourd’hui encore si proche de Brion l’énorme congère de la Volpilière bloquer la route qui conduit vers Ardes ?
Pourtant, c’est en toutes saisons que les chemins pouvaient se trouver ruinés par des intempéries, compliquées de rivalités entre villages qui ralentissaient l’exécution des travaux. Les consuls de Mazoires affirment en 1789 que les calamités de l’été 1788 ont rendu impraticable le chemin d’Ardes à Mazoires selon eux indispensable aux paroisses de Saint-Alyre-ès-Montagne et La Godivelle. Ils déplorent que l’Administration ait privilégié de restaurer le chemin de Mazoires à Brion en débloquant pour ce faire 912 livres afin d’établir des “ateliers de charité” destinés à offrir quelques revenus à de “pauvres manouvriers dans une extreme pénurie”. On considérait à Mazoires que le chemin de Brion n’avait même pas encore été tracé et “ne le serait vraisemblablement pas de sitôt”. On peut comprendre le choix de l’intendance. Les fonds de charité destinés à fournir un travail temporaire aux plus dépourvus étaient convoités par toutes les communes, mais compte tenu des trafics importants générés par les foires de Brion, il était cependant fondé de prioriser les chemins des foires plutôt que de simples voies de desserte locale.
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Des itinéraires peu sûrs
D’évidence encore on évitait les fonds de vallée qui restèrent longtemps peu sûrs. Ne racontait-on pas qu’il existait dans les gorges de Courgoul une “pierre de ola” derrière laquelle se dissimulaient des voleurs qui fondaient sur leurs victimes pour les détrousser en criant “ola!”. Accès qu’on pourrait penser normal pour se rendre aux foires de Brion, la vallée de Rentières parcourue par la Couze d’Ardes était elle aussi jugée si peu fréquentable que les cadastres napoléoniens n’y indiquent pas de chemin, seuls semblant la traverser des ponts orientés nord-sud.
La nature restait cependant le danger essentiel. Peu avant la Révolution, une requête de Valeix, curé du Valbeleix, sollicitait de l’intendant que des fonds de charité soient affectés à la construction du chemin devenu trop dangereux qui conduisait du Valbeleix à Courgoul : “le sang dont est souvent teint ce chemin et les précipices qui le bornent font trembler les plus hardis voyageurs ; il n’est point d’année où il ne se précipite [dans la rivière] quelques personnes ou animaux”.
Le tracé des anciens chemins fut donc déterminé par la sécurité dont on voulait bénéficier. On préférait se hausser sur les plateaux et emprunter les chemins muletiers des crêtes. Quand, ruinés par les intempéries, les chemins ne ressemblaient plus qu’à des sentes caillouteuses, on abandonnait les charrettes qu’on remplaçait par des animaux de bât. Au pire, on transportait à dos d’homme.
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Des ponts délabrés
D’évidence, enfin, on s’efforçait d’éviter autant que possible les chemins qui enjambaient les cours d’eau dont les ouvrages de franchissement étaient la plupart du temps mal entretenus. Trop fragiles, les ponts étaient souvent emportés par la débâcle de printemps. Dans un rapport établi en 1764, l’intendant Ballainvilliers déplorait la rareté des chemins praticables, en partie à cause de l’état des ponts devenus victimes du désintérêt seigneurial. Des ponts pouvaient rester rompus durant des décennies au détriment de ceux qui se trouvaient obligés de franchir la rivière à gué avec leurs bêtes ou leurs marchandises, une entreprise risquée qui faisait des victimes.
A Compains, proches de leur source et d’un débit souvent faible, la Couze et la Gazelle n’avaient besoin d’aucun pont d’importance. La paroisse avait de ce fait échappé à la campagne de réparation des ponts décidée en 1718 par l’intendance d’Auvergne. Non loin, les ponts d’Entraigues et de Condat auraient bien mérité de profiter de cette campagne de rénovation.
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Le commerce ralenti par l’insuffisance des moyens de communication
Les besoins des villageois du massif s’exprimaient sous forme de requêtes envoyées à l’intendant ou même de suppliques adressées directement à Versailles. Plantée en plein milieu du Cézalier, Allanche soufrait particulièrement du manque du moyen de communications comparée à d’autres bourgades plus périphériques au massif. Les allanchois réclamaient à l’intendant d’Auvergne et au conseil du roi l’ouverture d’une route qui leur permettrait de mieux écouler leurs produits et d’importer le nécessaire à la vie quotidienne “pour le transport des denrées de première nécessité la montagne est obligée de se pourvoir en vin [les terriers stipulaient qu’il fallait conduire du vin au domicile du seigneur], même le blé dont elle ne cueille pas assez abondamment pour sa subsistance, son unique ressource consiste dans le commerce des bestiaux et de fromages et elle a besoin du commerce d’importation et d’exportation, ce qui nécessite des communications”.
C’est encore Allanche qui réclame en 1784 à l’intendant l’ouverture d’un chemin – de préférence l’itinéraire Mardogne-Blesle – entre leur bourg et Saint-Flour. Les habitants des montagnes occidentales ne pouvaient qu’adhérer aux arguments de leurs voisins allanchois puisque tous subissaient le désintérêt des pouvoirs publics pour la desserte de leur région. Vers la même époque, plusieurs villages des montagnes soutenus par l’agronome Dufour de Pradt, exposaient la faiblesse de leurs ressources attribuée aux difficultés des transports des fromages. Tous souhaitaient qu’une voie plus praticable soit ouverte vers la Limagne, estimant qu’“une route de ce coté serait un remède à leurs maux”. Il est vrai que cette route avait été commencée mais elle avait été interrompue par le manque de fonds et parce qu’on n’avait pu mettre d’accord les intéressés qui devaient contribuer aux frais des travaux. On ne savait trop alors si l’argent avait réellement manqué ou s’il avait été “diverti” pour répondre à d’autres besoins.
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L’aide alimentaire peine à être acheminée lors des disettes (1770)
L’état lamentable des infrastructures alarmait à son tour l’intendant Montyon qui déplorait de manquer de moyens : “l’économie avec laquelle on a été forcé depuis quelques années d’entretenir les anciens ouvrages les a mis presque tous dans une caducité a laquelle on ne peut pas apporter un trop prompt remède”. L’inaction des pouvoirs publics en pays de montagnes n’était pas sans conséquences lors des crises de subsistance qui frappaient périodiquement la population. Les crises économiques qui se succèdent au fils du XVIIIe siècle posaient avec encore plus d’acuité la question de l’entretien des routes, surtout quand il fallait charroyer d’urgence une aide alimentaire aux régions les plus nécessiteuses. Quand, consécutive à un hiver glacial et à un printemps pourri une terrible crise agricole génératrice de disette sévit en 1770, l’intendance d’Auvergne buttait toujours sur l’obstacle des chemins et des ponts mal entretenus quand il fallut acheminer l’aide alimentaire aux régions qui manquaient de vivres.
Congère de la Volpilière (com. SAEM)
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La rénovation du pont d’Entraigues (1730)
Sur le ruisseau d’Entraigues, au sud-ouest du bourg, un pont en dos d’âne desservait le chemin qui, au nord conduisait vers Vassivière et Besse, et au sud vers Egliseneuve d’Entraigues et Condat en Féniers. On l’empruntait pour venir de l’Artense et du Limousin aux foires de Brion. En 1730, la violence des eaux avait renversé ce pont trop âgé, trop étroit et mal construit. Les fondations avaient été sapées et l’arche unique s’était effondrée. Un devis de réparation fut établi pat un maçon de Saint-Saturnin. Si l’amplitude de l’arche en plein cintre resta la même (24 pieds), on profita de la réfection pour élargir le passage sur le pont qui passa de six à dix pieds. Les travaux furent réalisés entre juin et octobre 1730 pour un montant de 1019 livres. A Condat, pont stratégique, les problèmes de circulation étaient encore plus prégnants.
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Le marquis d’Yolet évincé au pont de la Prade (com. Condat)
Le cas du pont de Condat est révélateur des imbroglios qui entouraient l’entretien des ouvrages d’art. Sur la route de Saint-Flour à Limoges, le pont de Condat était “le seul lieu de passage pour la descente des fromages et le transport des sels…pour le service des montagnes de cette province”, selon Mallesagne, subdélégué de Bort (aujourd’hui Bort les Orgues). Lors des débâcles printanières, le pont de Condat, construit partie en bois, partie en maçonnerie était soumis à la montée des eaux et nécessitait un entretien régulier. Pour les voituriers qui venaient avec leurs marchandises de Guyenne, du Poitou et du Limousin aux foires de Brion, il était essentiel de pouvoir disposer à Condat d’un pont en état de faire traverser la Rhue aux chariots.
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Depuis le Moyen Âge, un pont avait été construit en maçonnerie par les moines de l’abbaye de Féniers, voisine de Condat. Outre un péage prélevé au pont, les moines “y percevaient deux deniers pour chaque mouton et brebis, un sol par chèvre et 18 sols par bœuf ou vache”. Ce pont était tenu par Maurin de Bréon qui, en 1229-1230, avait des droits dans l’Entraigues et à Condat. Quand certains biens de Maurin de Bréon furent saisis (1349), l’Entraigues et son pont passèrent à la branche des Chaslus d’Entraigues. Selon Mallesagne, les Chaslus “le rétablirent partie en maçonnerie, partie en bois et perçurent le même péage”. Le 13 mai 1486 Robert de Balsac d’Entraigues devenu seigneur d’Egliseneuve d’Entraigues était maintenu dans son droit de percevoir le péage sur les voitures et bennes chargées ou vides passant par sa seigneurie.
Vendue aux enchères en 1705 , la seigneurie d’Entraigues fut adjugée 66 000 livres à François de Malras, marquis d’Yolet qui y percevait encore un péage en 1715. Mais Yolet cessa d’entretenir le pont et les usagers cessèrent de payer. Après une inondation qui avait une nouvelle fois détruit l’ouvrage, les habitants décidèrent en 1728 de lever eux-mêmes un péage qui en financerait la reconstruction. Pensant rester en possession de son droit de péage, Yolet se résolut à verser 120 livres pour rembourser les travaux, ce qui s’avéra insuffisant. Faute d’entretien, le pont se trouva en 1731 “emporté et détruit par le débâclement des glaces”. Cette même année l’ingénieur Bansat déclarait “pour le commerce et débit des fromages et bestiaux qu’on élève dans les montagnes”, il était indispensable que la communication entre les provinces de l’ouest du royaume et les montagnes d’Auvergne passât par le pont de Condat près du confluent du ruisseau de Bonjon avec la Rhue, une rivière qui n’était guéable que quelques mois dans l’année. Selon le subdélégué de Bort en 1731 “depuis environ 15 ans le pont ayant été entièrement négligé, le public n’a rien payé”. Ordre est alors donné de faire un nouvel ouvrage en charpente avant d’en construire un en maçonnerie.
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L‘abbesse de l’abbaye de Sainte-Claire de Clermont faisait percevoir des droits de leyde et de péage sur la rivière de Condat et dans la seigneurie d’Entraigues. Conformément aux arrêts royaux qui ordonnaient la représentation des titres qui justifiaient de prélever un péage, elle avait fait remettre les titres justificatifs en 1734 au greffe de la commission des péages. Les religieuses purent donc conserver leurs droits et continuer de lever des taxes. Quant au marquis d’Yolet qui ne montrait toujours pas ses titres ou qui présentait des copies insuffisantes, le Conseil d’État lui ordonna en 1740 de mieux justifier ses droits. Le 13 août 1743, le roi en son conseil ordonnait la suppression des taxes perçues par le marquis. Progressivement, l’État reprenait ainsi en mains les anciens droits féodaux. Le pont continua cependant de subir de nouveaux gros dégâts lors de la forte débâcle de 1769. En 1781 les habitants demandaient à nouveau sa restauration.
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A Courgoul, le seigneur finance une partie des travaux routiers
Peu avant la révolution, une requête du curé du Valbeleix demandait à l’intendance d’Auvergne que des fonds de charité soient affectés à la construction du chemin devenu trop dangereux qui conduisait du Valbeleix à Courgoul. Selon le langage fleuri du curé, “le sang dont est souvent teint ce chemin et les précipices qui le bornent font trembler les plus hardis voyageurs ; il n’est point d’année où il ne se précipite quelques personnes ou quelques animaux”. Il arrivait que le seigneur local, bien conscient de l’entrave au commerce constituée par les chemins dangereux, consente à participer au financement des travaux. Ainsi vers 1780, voit-on monsieur du Couffour, seigneur de Courgoul, contribuer pour 200 livres au chemin qui conduisait de Courgoul à Sauriers.
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Compains – Chemin près du bourg
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A COMPAINS
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A Cureyre, un chemin de desserte locale bloqué par un domaine (1673)
L’évolution des modes d’exploitation, et en particulier la formation de nombreux domaines, fermait au trafic certains chemins de desserte locale empruntés depuis des temps immémoriaux par les habitants. A Cureyre en 1673, l’achat de la montagne du Rouget par le notaire Jean Morin obligea certains cultivateurs à modifier leurs habitudes ancestrales. Face aux protestations de ceux qui s’estimaient lésés, Morin rétorquait que “la montagne a présent commutée en pré ne leur doit aucun chemin, service, ni servitude”. Les habitants, habitués “a passer et repasser avec leurs bêtes et leurs chars attelés” sur un chemin qui leur servait de raccourci vers Egliseneuve d’Entraigues et Condat, se trouvèrent contraints de renoncer à leur pratique coutumière et durent faire un long détour par le hameau d’Escouailloux pour éviter d’emprunter le chemin qui traversait dorénavant la propriété du notaire.
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Des déplacements annulés à cause de l’état de la route (1693)
Alors qu’on subissait la terrible famine de 1693, le mauvais état des chemins n’avait pas fait que ralentir l’acheminement de l’aide alimentaire à charroyer d’urgence aux régions nécessiteuses. A Compains, pourtant pas plus enclavé que les autres paroisses des hautes terres, l’idée de devoir parcourir huit lieues sur des chemins défoncés incita en 1693 des habitants à refuser de se déplacer “a huit grandes lieues pays de montagne” jusqu’à Saint-Germain-Lembron où ils devaient témoigner à un procès. Habituées à se confronter elles-mêmes aux difficultés de transport, les autorités locales savaient se montrer compréhensives et la requête des témoins récalcitrants fut entendue. Leurs témoignages furent recueilli à Compains devant Morin, lieutenant de la paroisse et “non suspect aux parties”, qui les transmit ensuite au tribunal.
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Des réformes administratives inadaptées compliquent les déplacements des habitants (1765 et 1782)
L’intendance d’Auvergne méconnaissait parfois les réalités du terrain. Pour resserrer son administration locale incarnée par les subdélégations, l’intendant avait supprimé la subdélégation d’Ardes. Anzat, Saint-Alyre-ès-Montagne, mais aussi Compains, se trouvaient désormais rattaché à 50 kilomètres de là à la subdélégation de Bort, lointaine et d’accès difficile. La perspective de devoir entreprendre hiver comme été et plusieurs fois dans l’année ce long trajet vers Bort “inaccessible aux suppliants” effrayait les compainteyres qui demandèrent leur rattachement à Issoire. Ils furent entendus. Pour la même raison, les paroisses de Geissoux-La Godivelle, Allanche et Apcher furent elles-aussi retirées à Bort.
A Compains, la même problématique se pose à nouveau en 1782 après la mort de Charles Godivel, subdélégué de Besse. L’intendant Chazerat saisit cette occasion pour supprimer la subdélégation Besse qu’il transfère cette fois à Issoire. Se rendre à Issoire n’avait jamais été le choix privilégié par les compainteyres qui, soutenus par leur curé, font parvenir une supplique à l’intendant. Ils y argumentent que les “chemins [qui] deviennent impraticables en hiver” sont pour les habitants un obstacle infranchissable qui les exposerait à “perdre la vie”. Les habitants seront écoutés et obtiendront leur rattachement à Clermont-Ferrand qu’on atteignait plus facilement en suivant le chemin de Besse à Champeix puis Issoire ou Clermont.
De Brion vers le bourg – Dévalade sur les flancs du Cézalier
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Compains doit entretenir ses chemins
L’État se déchargeait de l’entretien des routes sur les communautés rurales et la lourde charge de l’entretien des chemins d’une commune aussi vaste que Compains incombait à ses habitants. On travaillait au coup par coup, sans moyens ni plan à long terme.
On distinguait deux sortes de chemins : ceux qu’on pouvait charroyer et ceux, trop étroits ou trop mal entretenus, qu’on devait parcourir à pied. Depuis les hauteurs du hameau de Marsol, deux chemins conduisaient au bourg. Le chemin carrossable passait par les Costes. Un second sentier pédestre descendait vers la Gazelle qu’il franchissait sur un ponceau et traversait les bois et les prés qui croissent sur la cheire avant de parvenir au bourg. Un délibératoire des habitants du hameau de Marsol déplorait en 1760 le mauvais état de ces chemins, devenus impraticables, “tant ceux qui servent à l’usage du chariot que ceux à pieds”. Un syndic fut nommé pour faire réaliser les réparations.
La paroisse de Compains était divisée en deux secteurs, séparés par une borne sans doute placée au bord du chemin qui franchit le col de la Chaumoune où un embranchement de la route venue de Compains conduit au sud vers Espinchal, et à l’ouest vers Egliseneuve d’Entraingues. Au nord, avec le bourg et Brion, la majeure partie relevait du bassin versant de l’Allier. Au sud-ouest, la plus petite partie, documentée sous le nom de “paroisse haute”, relevait du bassin versant de la Dordogne et comprenait notamment les hameaux de Graffaudeix, Espinat et Redondel. L’impôt spécial qu’on levait pour les travaux faisait l’objet d’une collecte séparée entre les deux fractions de la paroisse. Quand il s’agissait d’entretenir le chemin du bourg de Compains à Egliseneuve, la partition était si nette que les habitants de la paroisse haute ne venaient pas assister aux discussions sur le financement des travaux. Qu’apparaissent des dissensions entre ces deux parties de la commune, par exemple sur la date des travaux, une portion de la route pouvait se trouvait refaite et l’autre pouvait rester en l’état.
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Le calendrier des travaux routiers
Le temps et les moyens qu’on pouvait consacrer aux travaux routiers étaient soumis aux dates des travaux agricoles, aux caprices du climat et aux déplacements pendulaires liés à l’émigration hivernale. Compte tenu de la survenue d’un printemps tardif et bref, c’est bien après la Quasimodo (premier dimanche après Pâques), qu’on mobilisait la main d’œuvre rurale pour réaliser les travaux routiers qu’on stoppait dès qu’arrivait l’heure de couper les foins pour les reprendre à l’automne. Leur reprise ne devait pas être trop tardive car l’émigration hivernale privait de bras le village. Rentrés les récoltes et le bétail, il fallait donc s’attaquer aux travaux routiers, comme le prescrivait en 1733 une ordonnance de l’intendant Trudaine. Les taillables devaient chaque année des journées de travail, une astreinte qui s’alourdira en 1759 après qu’une ordonnance royale ait fait passer à une semaine la corvée royale de travaux routiers.
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L’émigration entrave la rénovation des routes (1770)
On ne se bousculait pas pour s’atteler à la réfection des chemins et il n’était pas rare que la campagne de travaux routiers pâtît d’un absentéisme qui, quoique souvent lié à l’émigration hivernale, n’en était pas moins préjudiciable à l’intérêt général.
Lors de la désastreuse conjoncture économique de l’année 1770, on avait déjà manqué de travailleurs pour réaliser l’indispensable corvée d’entretien des routes. A Egliseneuve, on manquait de bras et la crise était telle qu’on n’envisageait même pas de pouvoir sous-traiter les travaux comme voulait le faire Compains. Le syndic nommé menaçait les égliseneuvois de leur faire payer des “frais de garmison” s’ils refusaient les travaux, une punition redoutée qui aurait obligé les habitants à héberger à leur frais des soldats.
Du bourg vers Brion – Raidillon qui donne accès au Cézalier
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Une grave crise économique frappait alors la région : les dérèglements du climat avaient laissé les paysans “dans la disette de vivres”. N’ayant pu “cueillir ni grains, ni lins” – on se souvient que le lin était abondamment cultivé dans la région – tous étaient dans le malheur. Poussés par la nécessité, la majorité des hommes de Compains souvent accompagnés d’enfants, avaient avancé la date de leur émigration hivernale et déserté le chantier routier dès le début du mois d’août, “consequemment il manquera des bras pour aider à travailler cette partie qui se trouve quazy tout dans la terre ferme ou rochers, ces raisons de misère empechent lesdits habitans de se déterminer a donner les chemins a un entrepreneur a prix faits ne pouvant payer les charges royales exorbitantes qui sont imposées sur cette paroisse”. Exceptionnellement précoce, cette date de départ présentait l’avantage de réduire le nombre des bouches à nourrir au village.
Venu le moment d’entretenir le chemin qui allait de Graffaudeix à Espinat et Redondel, l’exécution des travaux avait donc été compromise faute d’hommes en assez grand nombre. Partis “gagner leur vie dans les provinces étrangères”, suivant une formule consacrée par de multiples textes, ces migrants ne rentraient qu’à la fin du printemps, lestés d’un pécule destiné à faciliter le paiement des impôts et à assurer la jointure en attendant la récolte à venir. Faute d’hommes, on décida de sous-traiter les travaux à l’entrepreneur le moins disant, Pierre Grouffaud, un maréchal-ferrant de Besse. Pour financer les travaux, l’intendant Montyon ordonna comme à l’accoutumée un impôt exceptionnel qui fut levé en 1771 sur tous les taillables de la collecte de Compains. Fâcheusement, Grouffaud à qui on n’avait pas encore payé les travaux à la fin de l’année voyait ses finances en péril. Il fit parvenir une supplique à l’intendant, sans qu’on connaisse la conclusion qui fut donnée à cette affaire.
A l’automne 1782-1783, la campagne de réfection des chemins se solda à nouveau par un nombre excessif de “défaillants”. Selon la liste fournie par les syndics de Compains, 91 corvéables manquèrent à l’appel sans même s’être fait remplacer. Pour avoir ruiné l’objectif d’une bonne exécution des travaux autrement que par le truchement de la sous-traitance, ces défaillants furent taxés l’année suivante. Une enquête réalisée en 1788 confirma le chiffre ci-dessus. Elle estimait qu’à Compains 90 personnes, majoritairement issues des hameaux du sud-ouest de la paroisse, s’expatriaient chaque hiver pour aller pratiquer leur “industrie” dans les “provinces étrangères”.
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De la corvée royale ou seigneuriale à l’impôt pour financer les travaux
Sa condition d’aristocrate dispensait le seigneur de Brion d’entretenir les voies situées hors de la seigneurie. Par contre, il était censé utiliser les taxes perçues lors des foires pour assurer l’entretien et la sécurité des chemins proches du foirail. Rappelée lors des Grands Jours d’Auvergne (1666), cette obligation enjoignait à tous ceux qui avaient droit de péage d’entretenir les chemins, ponts et voies publiques pour lesquels étaient perçus des péages. Les métayers du seigneur bénéficiaient d’un passe-droit qui les exemptait de contribuer aux travaux routiers et l’impôt se trouvait de ce fait concentré sur un plus petit nombre d’imposables. Le rôle d’abonnement de la corvée des routes rapportait environ 310 livres, soit 5% environ de la taille que payaient au roi les habitants de la paroisse. Pour éviter une surcharge fiscale, les consuls de Compains tentèrent une manœuvre et taxèrent en 1771 les métayers seigneuriaux. L’affaire fut aussitôt portée à la connaissance de Jean-Charles de Laizer. Depuis Paris où il résidait, Laizer écrivit à l’intendant d’Auvergne pour demander une décharge fiscale en 1772 suite “a la méprise des consuls” qui avaient taxé “ces pauvres misérables” (ainsi qualifiait-il les métayers qui travaillaient sur ses terres).
En 1779, furent taxés à la taille personnelle pour les routes 179 habitants, y compris les veuves, les orphelins et les métayers qui travaillaient sur les terres du seigneur, mais cette fois, uniquement pour leurs biens propres. Ainsi voit-on par exemple les frères Morin, fermiers du domaine de Cureyre, imposés 251 livres à la taille royale, taxés pour l’entretien des routes à un peu plus de dix livres. Cette fiscalité à deux vitesses qui désavantageait la communauté villageoise se poursuivra jusqu’à la Révolution.
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L’entretien des chemins vicinaux
Au XIXe siècle, l’entretien des chemins vicinaux était à la charge des communes traversées qui pourvoyaient au financement par une imposition. Pour celles qui manquaient de ressources, on réintroduisit en 1836 l’obligation de fournir des prestations en nature (maximum trois jours de travail personnellement ou par un remplaçant), ou en argent (des centimes ajoutés aux contributions directes). L’état des routes avait dû s’améliorer car la mairie de Compains considérait en 1839 qu’une journée d’homme par famille suffirait à rendre praticables les chemins de la commune.
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Antoine Boyer participe aux travaux routiers
La campagne de travaux sur le chemin vicinal de Compains à Besse s’était ouverte le 12 novembre 1854 à sept heures du matin. On pouvait se faire remplacer, mais cela coûtait un franc par jour. Comme tous ceux qui ne s’étaient pas fait remplacer, Antoine Boyer devait fournir six journées de travail avec des journées d’une vache de travail, ainsi que la pelle et la pioche nécessaires aux travaux.
Prestations de réparation et d’entretien des chemins vicinaux
exécutées en nature par Antoine Boyer en 1854
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Des matériaux exploités en circuit court
Lors de la réfection de la route qui conduisait à Besse, pour limiter les coûts de transport des matériaux utilisés lors des travaux routiers, la commune avait décidé d’exploiter une carrière de pierre située dans le bois de la Contraille proche de Brion. En 1884, l’exploitation de la carrière fut concédée à l’entrepreneur Charbonnel afin qu’il l’exploite “pour l’entretien de la route de Compains à Besse”.
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Le traîneau, moyen de transport incontournable
Aussi bien adapté aux prairies herbeuses l’été qu’aux sentiers hivernaux quand les neiges effaçaient les chemins devenus impraticables aux charrettes, le traîneau s’était imposé comme un véhicule indispensable. Circuler en traîneau persistera dans le monde rural jusqu’au début du XXe siècle.
Au retour de sa captivité en Angleterre (1364), Jean de Berry avait visité à plusieurs reprises sa province d’Auvergne, n’hésitant pas à la parcourir pendant la période hivernale. Probablement utilisa-t-il alors un traîneau quand, venant de Saint-Flour en 1365, il fit halte au château de Mardogne où il profita de l’albergue que lui offrit Maurin de Bréon. Hors des périodes d’enneigement, le duc de Berri se déplaçait dans un véhicule désigné dans les textes “lo cart de mons. de Berriu”.
On employait des traîneaux de toutes sortes selon l’activité exercée. Différents modèles sillonnaient les chemins suivant qu’on exploitait des mines ou des carrières, qu’on transportait du bois, ou tout simplement qu’on veuille se rendre de Brion au bourg de Compains. Du facteur au médecin en passant par le carrier, tous utilisaient ce véhicule de transport pratique et peu onéreux qu’on faisait la plupart du temps tracter par des cavales ou des bœufs.
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- Le traineau dans les baux et les inventaires après décès des compainteyres
Au même titre que l’araire et la charrue, le traîneau est décrit dans les minutes notariales comme faisant partie des “outils nécessaires à l’agriculture”. Les baux dévoilent parfois la présence de traîneaux comme par exemple en 1744 dans un bail de La Fage où deux traîneaux font partie de l’équipement du domaine. Les inventaires après décès qui détaillent par le menu le contenu des granges mentionnent à l’occasion des traîneaux. On citera en 1813 un traîneau dans la succession Eschavidre-Chandezon.
- Le courrier acheminé en traîneau
Contraints par les intempéries, certains facteurs devaient se déplacer en traîneau. Le Moniteur d’Issoire du 25 février 1888 nous apprend que “le courrier de Saint-Germain-Lherm se fait en traîneau à cause du mauvais temps”, évènement sans doute si exceptionnel à Saint-Germain qu’il méritait d’être signalé par le journal. A Compains, ciblé au quotidien par l’écir et les intempéries venues de l’ouest, la pratique était sans doute beaucoup trop banale pour que le Moniteur s’y intéressât. Dans le même ordre d’idées, on se souviendra que Roger Charbonnel, facteur à Saint-Alyre-ès-Montagne s’y déplaçait l’hiver à skis comme le faisait Jacques Bernard, médecin à Egliseneuve d’Entraigues.
- Transport et vols de bois
Qu’il s’agisse de ruraux exerçant leurs droits d’usage dans les bois seigneuriaux, qu’ils soient exploitants forestiers ou, comme souvent, voleurs de bois, tous utilisaient un traîneau quel que soit le milieu physique, l’été dans les herbes sèches aussi bien que l’hiver quand la neige noyait les chemins.
Les habitants de Compains comme ceux des paroisses voisines s’adonnaient sans vergogne au vol de bois, pratiqué au moyen de traîneaux. Parfois, les voleurs n’hésitaient pas à mobiliser trois traîneaux tirés par des bœufs pour voler une plus grande quantité de bois. Évoquant en février 1756 le bois de Jansenet au nord de la paroisse de Compains, propriété du marquis de Crussol, seigneur de Saint-Nectaire, un rapport du garde des Eaux et Forêts de Compains révèle qu’il n’a pu stopper des voleurs de Graffaudeix – village réputé ingérable – qui ont réussi à couper et emporter un arbre sur un traîneau tiré par des bœufs. A Chaumiane, hameau proche des bois seigneuriaux du Montcineyre, les habitants bénéficiaient de conditions favorables pour se livrer à des larcins de bois. Ainsi en juillet 1818, Jacques Bauger, cultivateur à Chaumiane, se fait-il surprendre avec un traîneau chargé de jeunes arbres coupés alors qu’il faisait pacager deux vaches.
A SUIVRE
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