– Les cloches
Les “pouvoirs” des cloches
Moyen de communication utilisé en toutes occasions les cloches ne remplissaient pas que des fonctions religieuses. Pour rythmer les moments importants de la vie du village, les cloches adaptaient leur langage aux circonstances, qu’elle soient religieuses, climatiques ou accidentelles. Car bien sûr, on ne sonnait pas de manière identique qu’on veuille annoncer la mort, la guerre, le mariage, l’incendie ou guider un égaré dans la brume.
Eglise Saint-Georges – La petite cloche à l’est du beffroi
On attribuait un fort pouvoir symbolique aux cloches, intermédiaires entre l’homme et le ciel pris tant dans sa dimension religieuse que profane. Il était ancré dans les consciences que le son des cloches exerçait un impact sur le mauvais temps et, tout dévot pouvant cacher un superstitieux, par mauvais temps les cloches étaient réputées indispensables pour éloigner la grêle ou détourner la foudre. Les rituels des diocèses reconnaissaient ce rôle protecteur : “le son de la cloche met en pièce l’orage, écarte le tonnerre, dissipe la tempête” dit le Rituel de Bourges, feignant d’oublier que cette pratique n’était pas sans danger pour le sonneur. Le subdélégué d’Issoire, Lafont de Saint-Mart, se montrait évidemment plus dubitatif que la population et parlait du “préjugé où sont les habitants de cette province et surtout ceux des montagnes que le son des cloches détourne les orages”. Les pouvoirs des cloches n’épargnèrent cependant pas la vie d’un homme du village de Chanterelle qui, de passage à Compains, mourut le 1er juillet 1752 alors qu’il traversait la montagne d’Escoufort “mort hier à Escoufort-haut d’un coup de tonnerre”, dit le registre paroissial.
Le sonneur de l’église Saint-Georges foudroyé
Carillonner pendant l’orage foudroyait parfois le sonneur. Après que la paroisse de Compains ait été gravement touchée par les grêles en 1775, le procès-verbal des experts venus constater et évaluer les dégâts observe que la foudre a frappé le clocher de l’église. Le montant des réparations est estimé à 400 livres. Plus grave, le carillonneur, Louis Espinoux a été foudroyé. Espinoux en réchappa mais fut hors d’état de travailler durant trois semaines et perdit le foin qu’il aurait dû récolter. Il réclama 80 livres d’indemnités.
Pour éviter le foudroiement des carillonneurs, le parlement de Paris défendra de sonner les cloches pendant les orages sous peine d’amende. L’État renouvellera encore à plusieurs reprises au XIXe siècle cette interdiction (1848, 1884, 1885), mais l’idée que le son des cloches pouvait constituer un bouclier protecteur contre l’orage ne se dissipera qu’au fil du XXe siècle.
La REFONTE des CLOCHES
Au XVIIe siècle
Lors de la visite pastorale de 1634, le clocher n’était plus garni que de trois cloches : la quatrième venait d’être refondue et attendait sa bénédiction dans l’église avant d’être réinstallée. Les quatre cloches de l’église étaient menacées en 1683 par l’état inquiétant du clocher et les compainteyres craignaient que “la rigueur de l’hiver na fasse abattre le clochier […] qui est tout ruiné et menasse d’une ruine entière”.
La charpente sous le clocher
Au XVIIIe siècle
L’entretien des cloches nécessitait des travaux coûteux pour des paysans pauvres, qui restent régulièrement soumis à des disettes jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. En 1768, les consuls savaient qu’ils allaient devoir convaincre leurs administrés de la nécessité de refondre deux des quatre cloches de l’église devenues hors d’usage : “la grande cloche s’est cassée en sonnant à l’ordinaire, la seconde […] se trouve percée et a presque perdu son gond”. Seules restent “deux petites cloches qui ne leur sont d’aucun secours vu leur petitesse”.
Les consuls et le syndic brossent aux habitants de la paroisse le noir tableau d’un clocher devenu muet faute de cloches. L’éloignement de certains hameaux, pour certains une lieue et demie, le risque de périr pour ceux qui se sont écartés du chemin en l’absence de marque ou d’arbre qui puisse les orienter dans la brume, la foudre qu’il faut éloigner, l’appel des fidèles à l’office, le carillon nécessaire aux cérémonies, aucun argument n’est oublié pour convaincre les compainteyres.
On décide de demander l’avis de Suraud, fondeur de cloches à Champeix. Son estimation monte à 1800 livres ! Cinq quintaux de métal seront “nécessaires pour remplacer le déchet qu’il y aura en fondant les deux cloches”. Pour ce prix, le fondeur donne une assurance : il se charge “de monter la cloche étant faite au clocher et, au cas où la cloche viendrait à se casser en la montant, je m’oblige à la faite une deuxième fois à mes frais et depens”.
Assemblés à la sortie de la messe, les paroissiens “sont d’avis d’une voie unanyme” qu’il faut réparer les cloches, mais si possible à un coût moindre d’autant que les fonds de la fabrique de l’église sont insignifiants. Il va donc falloir recourir à la procédure habituelle et lever sur les habitants un impôt exceptionnel. Une supplique est envoyée à Antoine de Montyon, intendant d’Auvergne, pour que puisse être levé un impôt qui financera la refonte. Il sera prélevé au prorata du revenu des taillables (imposables) de la paroisse.
Eglise Saint-Georges – Détail de la grosse cloche
L’intendant répond aux habitants dès le 10 août 1768. Circonspect, il décide qu’on convoquera une nouvelle assemblée avec la participation obligatoire des plus gros imposés, ceux qui paient au moins 20 livres de taille. Soixante quatre chefs de famille venus des douze villages de la paroisse se révélèrent éligibles à cet impôt exceptionnel qui représentait environ 5% de la taille payée annuellement au roi.
Lever un impôt exceptionnel est une affaire qui doit remonter à Versailles où le Conseil d’État qui avalise la procédure décide que le prélèvement fiscal sera levé en 1769. L’affaire est ensuite rondement menée.
L’intendant commet le juriste bessard Charles Godivel pour procéder à l’adjudication de la refonte des deux cloches par bail au rabais, (bail à la chandelle), incluant le métal et la main-d’œuvre du fondeur. Une publication est faite trois dimanches de suite à Champeix, Clermont et Brioude. Le 9 juin 1769, les travaux sont adjugés à Pierre Maret, un fondeur de cloches lorrain venu s’installer à Brioude. L’adjudicataire refondra les deux cloches pour 300 livres et “sera tenu de les descendre, remonter et remplacer à la hauteur qu’elles doivent […] et les rendre harmonieuses et de bon son”. On adjuge enfin à Tartière de Compains la fourniture de trente journées de main-d’œuvre, la confection du fourneau et la fourniture de planches pour l’échafaud. L’intendant Montyon peut ordonner les travaux le 17 août 1769.
Un an plus tard, les cloches refondues sont installées et le 2 août 1770 le curé peut délivrer un certificat attestant le service fait. Finalement, ce seront 570 livres qui seront payées à Pierre Maret pour la refonte des deux cloches et la fourniture de deux quintaux de métaux.
LA RÉVOLUTION
Représentant de la Convention en Auvergne où il était quasiment doté des pleins pouvoirs, Couthon publie le 24 brumaire an II (14 novembre 1793) un arrêté sur la police des cultes qui stipule que “les cloches seront descendues et transportées de suite au chef lieu du département pour être transformées en canons. Les clochers seront immédiatement abattus”. C’est peu dire que la décision de Couthon ne plut pas à tout le monde. Chaque village réagit à sa façon. Pour tenir compte de leur utilité et de l’avis des habitants, on décida finalement de conserver une cloche par paroisse, les autres devant être fondues et transportée à Chamalières pour en faire des canons. Quant aux cordes qui servaient à carillonner,elles furent expédiées vers les ports pour servir à la marine. Ce décret fut si bien suivi dans certaines paroisses que le village de La Mayrand qui avait rendu toutes ses cloches, dut réclamer en 1795 qu’on lui en rendît une ! Las, le magasin du district n’avait plus de cloches en stock et on dut s’adresser au département.
Selon l’abbé Jean-Baptiste Serres, auteur d’une Histoire de la Révolution en Auvergne, “a Comprains (sic), aucun ouvrier ne voulut prêter assistance, soit pour déménager l’église, soit pour descendre les cloches et abattre le clocher et personne ne se présenta pour acheter les objets ayant servi au culte”. Cette affirmation, dont on ne sait comment elle parvint à ce religieux, mériterait d’être vérifiée, mais il est sûr cependant que certaines paroisses continuaient à carillonner en 1796, un “scandale” dénoncé par les administrateurs du Puy-de-Dôme.
SOUS L’EMPIRE
Clocher ruiné, cloches disparues, le passage de la Révolution a laissé des traces terribles sur l’église de Compains. En 1803, le conseil municipal décide de réagir et envisage “la reconstruction du clocher qui a été entièrement détruit”, sans qu’on puisse dire en l’état actuel de notre recherche si la destruction est consécutive aux décrets de Couthon ou à un défaut d’entretien consécutif à des intempéries. Partout en Auvergne, l’état général des bâtiments religieux délaissés durant des années est catastrophique. En attestent les conclusions de la Conférence ecclésiastique qui diligenta sous l’Empire une enquête sur l’état des églises du diocèse de Clermont : sur 353 réponses, il apparait que 115 églises étaient en ruine et 42 sans clocher.
Les comptes rendus des visites pastorales retrouvés aux archives diocésaines montrent qu’après la tourmente révolutionnaire il ne subsiste plus en 1806 et 1807 à Compains qu’une seule cloche. Comme l’avaient décidé les révolutionnaires, trois cloches avaient bien été rendues à l’État, à moins qu’elles n’aient été cachées, comme on le fit parfois.
LA REMISE EN ÉTAT DES CLOCHES AU XIXe SIÈCLE
Dans la première moitié du XIXe siècle on procède partout à la reconstitution de patrimoine religieux disparu après le passage du vandalisme révolutionnaire. Quand le vicaire général Mercier visite l’église de Compains en 1842 la situation s’est déjà bien améliorée : trois cloches sonnent au clocher, deux grandes (700 et 500 kg), et une petite (82 kg).
Le regain de religiosité et la relative prospérité économique qui marque la seconde moitié du siècle participent de l’amélioration des équipements de l’église. Offertes par des habitants, les cloches comme les vitraux sont un moyen d’afficher sa religiosité mais aussi de s’afficher puisque les noms des donateurs s’étalent sur le bronze comme sur les verrières.
Eglise Saint-Georges – Grosse cloche
Lors de sa visite pastorale en 1884, Jean-Pierre Boyer, évêque de Clermont, constate le bon état de l’église. Les bâtiments et les équipements ont bénéficié de la générosité des fidèles. La flèche octogonale a été reconstruite en 1878 aux frais de la fabrique. Sur la grosse cloche (1225 kg), la plus grave, qui mesure plus d’un mètre de diamètre, on peut lire “deus meus ad te luce vigilo”, soit : “mon Dieu, vers vous je veille dès l’aurore”.
Le parrain de cette grosse cloche est Jean Verdier de Chaumiane et sa marraine Anne Chanet-Tartière des Costes. Le comte et la comtesse de Laizer sont parrain et marraine honoraires.
Inscriptions sur la grosse cloche
En 1887, alors que Jean Monestier était curé de Compains, deux cloches sont refondues : à l’est du beffroi, la petite cloche d’un diamètre de 49 centimètres (52 kg) sonne les heures.
Petite cloche à l’est du beffroi
La cloche voisine qui mesure 72 centimètres et pèse 200 kg fut donnée par la famille Chabaud-Reynaud en mémoire de ceux qu’elle aime et qu’elle pleure : Antoine Chabaud-Reynaud, Marie Raynaud-Chabaud et Anne Chabaud-Tartière de Compains. Le parrain de la cloche est Louis Tartière-Chabaud de Compains et la marraine Françoise Chabaud-Verdier du village de Cabaret dans la commune du Valbeleix.
Cloche parrainée par la famille Chabaud-Reynaud
En 1896 enfin, pendant le ministère de l’abbé Levigne, curé de Compains, une cloche de 97 centimètres de diamètre pesant 550 kg fut dédiée “à la plus grande gloire de Dieu et de Marie”. Son parrain fut François Minet de Cureire, sa marraine Marguerite Panchot-Morin d’Escouailloux.
Cloche Minet-Panchot
Au fil du temps, on voit que la charpente de soutènement, originellement en bois, est devenue en partie métallique.
LE FONDEUR
Les cloches de l’église Saint-Georges ont toutes été fondues à Montferrand par la fonderie Burnichon qui fonctionna jusqu’en 1900. Des cloches réalisées par cette fonderie résonnent encore aujourd’hui dans toute l’Auvergne et ses alentours.
Sur la cloche, signature de Burnichon, fondeur
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