– L’église Saint-Georges du Moyen Âge à nos jours
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Une église classée en 1904 par les Monuments Historiques
Naissance de la paroisse – Évolution de la titulature – Influence de la noblesse – Aspects architecturaux
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INTRODUCTION
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- Le classement par les Monuments Historiques
Étalée dans le temps, la protection de l’église Saint-Georges par les Monuments historiques porta à la fois sur le bâtiment et sur plusieurs objets.
- 1904 – L’église et deux objets sont classés. Le 10 août 1904, l’église saint-Georges fut classée par les Monuments Historiques (Source : A.D. du Puy-de-Dôme). Furent en outre classés au titre objet, deux objets placés à l’intérieur de l’édifice :
- Une chasse du XIIIe siècle en forme de maison, en cuivre plaqué sur âme de bois (Voir : Ministère de la Culture, base Mérimée). Cette chasse contenait de volumineux ossements de saint Gorgon et d’autres reliques. Elle était placée dans la sacristie de l’église quand l’auteure de ce site put la photographier en 2008 (voir ci-après). On ignore où cette chasse est conservée aujourd’hui.
- Les pentures de fer forgé de la porte sud, elles aussi du XIIIe siècle.
- 1907 – La restauration du bâtiment. Ces mesures de protection furent suivie en 1907 d’une campagne de restauration de l’édifice. Les travaux inclurent la consolidation et la recouverture de la flèche, la réparation et la réfection partielle de la couverture de l’église, la réfection d’enduits intérieurs et des reprises de jointoiements extérieurs. Le coût de l’ensemble de ces travaux – 13715 francs – fut imputé au budget des Beaux-arts.
- 1961 – Le classement de la cuve baptismale. Longtemps placée dans le cimetière près de la porte méridionale de l’église, la cuve baptismale en pierre taillée volcanique du XIIe-XIIIe siècle, fut classée au titre objet en 1961. Cette curieuse position à l’extérieur de l’église plutôt qu’à l’intérieur, inciterait à envisager que cette pierre baptismale pourrait provenir de la chapelle castrale Saint-Jean-Baptiste de Brion d’où elle aurait été rapatriée à Compains vers 1770, lors de l’abandon de la chapelle de Brion alors en ruine.
Le monument et ses objets seront décrits plus loin.
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L’ÉGLISE et son HISTOIRE
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Des montagnes et un village anciennement peuplés et christianisés
On décèle une présence humaine sédentarisée dès le début du premier millénaire à l’orée du massif du Cézalier (Fournier G.). Abrité dans la haute vallée de la Couze, Compains serait l’une des plus anciennes localités surgies à la périphérie du massif.
C’est le précieux témoignage de Grégoire de Tours (né en Auvergne en 538 ou 539, mort en 594 à Tours), qui documente la création précoce de l’église de Compains. Grégoire relate qu’Austremoine fut l’un des sept missionnaires envoyés vers 250 par le pape Fabien pour prêcher l’évangile dans les Gaules. Austremoine laissera quelques siècles plus tard, son nom à l’église d’Egliseneuve d’Entraigues.
Depuis Issoire, Austremoine missionna plusieurs de ses compagnons pour évangéliser les montagnes. L’un d’eux, Antoninus, se serait rendu dans les montagnes pour les christianiser. Il aurait fondé une église en un lieu qui apparaît dans les textes sous la forme compendiacum, laissant à penser avec une certaine vraisemblance qu’il pourrait s’agir de Compains (Fournier P.F.). Ce toponyme serait donc dérivé du nom d’un gallo-romain nommé Compendius, probable propriétaire terrien d’une villa, une propriété ou une exploitation agricole localisée au voisinage des sources de la Couze. Accréditant cette thèse, le linguiste Dauzat remarque que les noms de lieux en AC suivent le nom d’une personne.
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Une église plantée sur la cheire
Dressée sur la roche dans une vallée verdoyante, l’église occupe le centre du bourg, entre les eaux de deux ruisseaux, la Couze au sud et la Gazelle au nord. On peut s’interroger sur le choix de l’emplacement de l’église des origines, probablement en bois. Fut-elle édifiée isolée sur la cheire descendue du Montcineyre pour fédérer un émiettement de hameaux dispersés comme on le constate aujourd’hui encore dans la commune voisine de Saint-Alyre-ès-Montagne ? Ne fut-elle pas plutôt dès sa fondation installée là où nous la voyons aujourd’hui au milieu d’un bourg préexistant qui perpétuait l’ancienne villa romaine ? Acceptons en l’augure. On remarquera, si ce fut le cas, qu’en bonne logique on dressa l’église sur la roche volcanique improductive pour ne pas priver les villageois de terres plus propices à la culture.
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A Compains, le face à face
Avec la survenue de la féodalité, la hiérarchie religieuse entre le bourg paroissial de Compains, son église et son cimetière et la chapelle castrale de Brion s’établit sur des sites bien distincts et même, éloignés, (5 km). Une disposition qui ne facilitait pas la fréquentation de l’église paroissiale par les ruraux des villages situés à l’est de la paroisse. L’église paroissiale bénéficiait de son antériorité : on verra ci-après qu’aux religieux appartenait la présentation du desservant de l’église alors que revenait au seigneur la nomination du bénéficiaire de la chapelle de Brion dédiée à saint Jean-Baptiste (voir le chapitre La chapelle disparue). Cette répartition des rôles n’excluait pas un lien de subordination du desservant de Brion face au curé de l’église paroissiale.
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De saint Michel à saint Georges
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Un lieu de culte d’abord dédié à saint Michel archange
Austremoine serait lui-même venu depuis Issoire dédicacer cette première église à saint Michel, l’un des trois archanges de la Bible (Fournier P.F.). Saint guerrier pourfendeur du dragon et chef des armées de Dieu, saint Michel incarnait celui qui n’est pas de ce monde, le peseur des âmes lors du jugement dernier, le protecteur des faibles et le pourfendeur du Mal. Michel convenait bien aux premiers temps du christianisme, époque où il fallait lutter vigoureusement contre le paganisme. Plus proche des chevaliers, Georges, successeur de Michel à Compains, s’était adonné à la guerre avant d’atteindre la sainteté.
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Saint-Georges supplante saint Michel
Le vocable d’une église reste généralement inchangé après la dédicace du sanctuaire. On constate pourtant que la titulature de l’église de Compains évolua au fil du temps pour passer de saint Michel à saint Georges. Aucun acte de fondation ne vient nous éclairer sur la cause ou la date de ce changement. Ainsi, quand Bernard de La Tour lègue une rente à l’église paroissiale de Compains en 1317 (lego ecclesie de compens decem solidos reddituales, Baluze) l’acte ne cite malheureusement pas le vocable de l’église, ce qui aurait permis de dater approximativement ce changement. Au XVIe siècle, le pouillé, (dénombrement des bénéfices ecclésiastiques), montre cependant que l’église de Compains a changé de titulature et que saint Georges a été substitué à saint Michel (Bruel, Pouillés…).
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Mais quel Georges ?
Saint Georges fut vénéré dès les premiers temps du christianisme. Des reliques de saint Georges martyr étaient conservées dans le diocèse de Tours dès le VIe siècle (E. Zadora-Rio). Représenté comme Michel sous la forme d’un chevalier qui terrasse un dragon, Georges, saint auxiliateur qui secourt les hommes et les animaux combat lui aussi le Mal et le paganisme représenté sous la forme d’un dragon. La proximité entre Michel et Georges autorise donc à parler d’un glissement de dédicace plutôt que d’un changement fondamental entre les deux titulatures. Les vies connues de saint Georges sont apocryphes et l’hagiographie médiévale évoque plusieurs Georges susceptibles d’avoir étés choisis à Compains.
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• Le saint vellave
La tradition montre principalement trois saint nommés Georges dont les vertus auraient pu inspirer ceux qui choisirent la nouvelle titulature de l’église de Compains. Éliminons d’entrée de jeu un premier saint Georges, saint “régional” du Velay issu d’une famille noble d’Auvergne. Il fut évangélisateur des campagnes avant de devenir vers 480 le premier évêque du Velay. Son profil ne nous semble pas correspondre à l’ambiance guerrière de l’époque.
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• Le saint oriental
On trouvait un Georges, martyr oriental vénéré en Palestine et en Syrie. Il se serait battu contre un dragon à Beyrouth et aurait été martyrisé à Lydda où un sanctuaire dressé sur son tombeau attirait de nombreux pèlerins. Cette ancienne représentation de saint Georges victorieux du dragon présente une analogie avec le combat d’Horus contre Seth Typhon en Egypte, pays où le culte de saint Georges s’était propagé rapidement. Les églises coptes où on trouve de nombreuses représentations de ce saint (Cabrol D.F., Dictionnaire d’archéologie chrétienne), témoignent aujourd’hui encore de la dévotion qui lui était vouée.
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• Un officier christianisé des légions romaines
Moins légendaire, un autre récit fait de saint Georges un officier des légions romaines d’Orient converti au christianisme qui fut supplicié en 303 à Nicomédie lors des grandes persécutions ordonnées par l’empereur Dioclétien. Pour notre part, nous opterons pour ce saint qui fut guerrier avant sa conversion, puis martyrisé peu avant la fin des persécutions qui frappèrent durement les chrétiens au temps de la Tétrarchie. Ce Georges convient bien aux chevaliers batailleurs des temps féodaux.
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Châsse et statue équestre de saint Georges
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Pourquoi ce glissement de titulature et comment l’interpréter ?
• Influence des reliques ?
Les incursions des Vikings aux VIIIe et XIe siècles pourraient avoir joué un rôle déterminant dans l’évolution de la dédicace de l’église. L’Auvergne représentait alors un havre de paix pour les moines des abbayes de la façade Atlantique qui subissaient les raids des Normands. Chargés de leurs reliques, les moines fuirent les régions impactées et se replièrent vers les montagnes du centre de la France. Réfugiés en Auvergne, les religieux y laissèrent de très nombreuses reliques. On pourrait concevoir qu’au cours de cette translation, certains d’entre eux auraient pu déposer à Compains les reliques de saint Georges, impulsant le déclin progressif de Michel qu’on constate à la même époque dans d’autres régions de montagnes, le Vercors, par exemple. On aurait alors saisi l’occasion d’une des reconstructions de l’église pour profiter de la sacralité que lui donnait la présence de ces nouvelles reliques et changer la dédicace.
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Saint Michel terrassant le dragon
Source : Bibl. du Patrimoine de Clermont Auvergne Métropole – Ms 59
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• Georges le saint des chevaliers
De la première croisade (1095) à la seconde croisade de Saint Louis (1270), la chevalerie française baigne dans l’ambiance guerrière des expéditions outre-mer. La légende de Georges combattant un dragon se serait développée dans l’atmosphère belliqueuse de l’époque, c’est à dire, selon Damien Carraz, vers les XIe-XIIe siècles. Ce nouveau saint protecteur qui correspondait mieux aux préoccupations du moment entre alors en jeu et va motiver les chevaliers qui combattent les ennemis de la Foi et du royaume.
• Influence des premiers Bréon connus ?
Durant la première croisade, c’est après que le nom de saint Georges ait été invoqué lors de la bataille d’Antioche en 1098 que les croisés, galvanisés, gagnèrent la bataille. Les circonstances étaient alors devenues favorables pour que les milites féodaux adoptent pour champion en lieu et place de l’archange, le martyr chrétien issu de l’armée romaine. Né au XIe siècle, Armand de Bréon dit seigneur de Mardogne, (l’autre grande seigneurie des Bréon près de Joursac, Cantal), donc un probable cadet des Bréon, est réputé selon une source bénédictine, avoir fait le voyage outre-mer avec d’autres croisés auvergnats lors d’une arrière croisade de la première croisade. Selon cette source isolée, il serait mort en 1103 à Tripoli. A cette date, saint Georges, officier romain martyrisé était vénéré depuis plusieurs siècles au Proche Orient. Armand se plaça-t-il sous l’invocation de ce saint durant sa croisade, comme après lui les Bréon lorsqu’ils firent à leur tour le voyage en Palestine ?
De retour en Auvergne, par reconnaissance ou pour toute autre raison, les Bréon auraient fait en sorte que l’Église change la dédicace de l’église paroissiale de leur seigneurie au profit de saint Georges.
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Saint Georges : une vocation guerrière
La vocation de saint Georges, quoique peu différente de celle de saint Michel, reflétait bien l’esprit du temps au Moyen Âge. Saint guerrier il était l’un des saints les plus populaires auquel s’identifiait alors l’aristocratie féodale française aussi bien qu’anglaise. Les deux saints incarnaient les mêmes valeurs. Les capétiens, puis les Valois se plaçaient tantôt sous la protection de saint Michel tantôt sous celle de saint Georges qu’on invoquait pour exalter les armées. Dans le royaume de France, saint Georges incarnait les valeurs chevaleresques jusqu’au sommet de l’État. Qu’on se remémore les paroles de Du Guesclin le jour du baptême de Louis d’Orléans, frère de Charles VI : “que Dieu et saint Georges fassent de vous un bon chevalier“ (cité par F. Autrand).
On remarquera cependant que saint Michel est plutôt revendiqué par les Capétiens et saint Georges par les Plantagenêts qui, dans la seconde moitié du XIIe siècle, dominaient toujours l’Aquitaine et un tiers du territoire français. L’Aquitaine dont dépendait l’Auvergne, resta anglaise jusqu’à la défaite anglaise d’ Azay-le-Rideau (1189). Plus tard, Froissard raconte que Saint Georges était un cri d’armes des Anglais pendant la guerre de Cent Ans. Pour encourager leurs troupes, les anglais et les gascons criaient “saint Georges” lors de la bataille d’Auberoche en 1345 puis plus tard lors de celle de Poitiers (1356), et encore lors de leur défaite à Castillon (1453) qui mit fin à la guerre de Cent Ans. Mais ce jour-là, saint Georges avait abandonné les Anglais…
La dédicace des églises à saint Georges sera celle rencontrée le plus souvent en Auvergne jusqu’au XVIIIe siècle, époque où ce saint patron apparaît à seize reprises dans le diocèse de Clermont (Michon L. Les titulatures…). Révéré partout en Auvergne, saint Georges bénéficie d’une dédicace proche de Compains, à l’église de Vodable (début XIIe s.), village où tenait château le Dauphin d’Auvergne, suzerain des Bréon.
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Et les Bréon ?
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Les Bréon et leur réseau familial en Artense
Parmi les nombreuses possessions des Bréon on trouvait des biens situés en Artense, notamment à Roche Marchal et à Lanobre où ils avaient une seigneurie et un château aujourd’hui détruit. Ces terres jouxtaient celles de la famille de Thynières. Une partie de Lanobre relevait en 1316 du frère cadet d’Itier II de Bréon, Jaubert qui y rendait hommage à l’évêque. Jaubert donna en 1316 la jouissance du château de Lanobre à son épouse Dauphine de Dienne.
L’église Saint-Jacques-le-Majeur de Lanobre recèle un chapiteau sur lequel contrairement à la tradition, saint Georges est figuré en pied terrassant le dragon. Georges y serait en outre le patron d’un autel collatéral réputé avoir été réservé aux commanditaires de l’église, très vraisemblablement les Bréon, qui ne se dessaisirent jamais du fief de Lanobre que Jaubert de Bréon détenait encore en 1372 (Remacle, Dérribier du Châtelet). Ce fief, selon Pélissier de Féligonde, leur serait advenu du mariage d’un Maurin Bréon avec une nommée Maragde de Lanobre à une date qu’on ne sait préciser, mais qu’on sait être antérieure à 1316.
Lanobre était très proche du fief de Beaulieu, un temps tenu par les Thynières qui quittèrent ce château pour venir s’installer au château de Val, lui aussi proche de Lanobre. Voisins de fief des Bréon, les Thynières étaient comme eux un lignage de moyenne noblesse. Une partie de leurs biens enjambait la Dordogne pour se déployer à la fois sur l’Auvergne et sur le Limousin. Un mariage rapprochera les deux familles et ce sont les Thynières qui hériteront des biens des Bréon quand s’éteindra leur lignage à la fin du XIVe siècle.
Près de là, à l’orée du Limousin, Arbert de Thynières était en 1167 prieur de la petite abbaye bénédictine de Bort (aujourd’hui Bort-les-Orgues, Corrèze). Sans doute recruté parmi les puinés des Thynières, Arbert agit à cette date comme témoin de la donation de l’église de Fernoël faite par Guillaume, comte de Clermont, à l’abbaye de Mozac.
On peut penser que les Bréon, de concert ou non avec les Thynières, furent les probables commanditaires de la fondation de cette abbaye dont un jour le prieur aura le droit de nommer à la cure de l’église paroissiale de Compains.
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Saint Georges représenté en pied combattant le dragon
Lanobre – Chapiteau de l’église Saint-Jacques-le-Majeur
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Restitutions à l’Eglise
Depuis la seconde moitié du XIe siècle, la réforme du pape Grégoire poussait les féodaux à restituer à l’Église les biens qu’ils avaient indument captés. Le pape incitait les nobles à pratiquer un retour à l’Eglise des biens d’Eglise après les accaparements pratiqués aux temps les plus anarchiques de la féodalité. Il voulut aussi favoriser la reprise de contrôle de certaines églises paroissiales par des communautés monastiques pour que l’Église devienne moins dépendante du pouvoir et des abus des laïcs.
Après des siècles d’anarchie où les lignages avaient impunément pillé les biens des religieux, on voit désormais certains seigneurs restituer des biens ou faire des dons aux établissements ecclésiastiques, y placer leurs enfants et, le cas échéant, s’y faire inhumer. Cette pratique est illustrée par Maurin de Bréon quand il donne la terre du Cheix au prieuré du Valbeleix, dépendance de l’abbaye de Saint-Alyre-lès-Clermont où il se fera inhumer, ce dont témoigne le nécrologe de l’abbaye (Montagnon P., Nécrologe de l’abbaye).
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Le curé de Compains à la présentation du prieur de l’abbaye bénédictine de Bort
L’évêque n’était pas obligatoirement le titulaire du droit de nomination du prêtre ordonné chargé d’assurer le soin des âmes (cura animarum). Ce droit, qui s’accompagnait de la perception d’un bénéfice, pouvait être exercé par un religieux ou un laïc. Après les années d’anarchie au cours desquelles des seigneurs s’étaient emparés de ce droit, il devint coutumier qu’un seigneur confiât ou rendît la nomination du curé de l’église paroissiale de sa seigneurie à une institution ecclésiastique. Le don de la collation de la cure de Compains à l’abbaye de Bort participe de ce mouvement.
C’est au début du XVe siècle que le curé de la paroisse de Compens, (ainsi nommera-t-on Compains jusqu’au début du XVIIIe siècle), apparaît sous le patronage de l’abbaye clunisienne de Bort (ad dispos. Prioris de Bort, dioc. Lemovensis) dans le diocèse de Limoges (Bruel A., Pouillés…). Ainsi en avait-il sans doute été quand furent nommés à Compains “dominus Gero Malsara, rector (curé) ecclesie de compens et Petro Rocha presbitero” qu’on découvre en 1347 prêtres à Compains (Source : ADPD).
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L’influence limousine sur Compains
Les bénédictins de Bort qui nommaient le curé de Compains dépendaient de l’abbaye bénédictine de Saint-Martial de Limoges (Bruel A.). Comme Austremoine et Antoninus à Compains, Martial comptait au nombre des sept évangélisateurs qu’on a vu précédemment envoyés vers 250 par le pape Fabien pour évangéliser l’Auvergne. Survivance de ces temps anciens, en 1634, l’autel latéral sud du transept de l’église de Compains, mais aussi un autel latéral de l’église de Lanobre étaient voués à saint Martial, nouvelle trace de l’influence limousine sur les églises d’Auvergne occidentale.
Le prieur de Bort ne cessera qu’en 1762 de nommer à la cure de Compains. Quelques années plus tard, l’autel de l’église Saint-Georges dédié à saint Martial verra sa dédicace passer à saint Blaise, un évêque arménien persécuté au temps où Licinius était empereur d’Orient. Celui-ci fit martyriser Blaise qui mourut en 316. Il était réputé protecteur du bétail.
Pourquoi le curé de Compains dans le diocèse de Clermont aurait-il été à la nomination du prieur de Bort dans le diocèse de Limoges, de préférence à l’évêque de Clermont ?
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L’emprise des grands
Après des origines qu’on a vues marquées par l’influence d’Austremoine, l’église Saint-Michel de Compains fut, peut-on penser, fortement marquée par l’influence du lignage seigneurial implanté à Brion. Le changement de titulature de l’église paroissiale en faveur de saint Georges, intervenu à une date indéterminée, put être favorisé par la dévotion des Bréon à ce saint, confortée par leur présence aux croisades et peut-être renforcée par l’importation de reliques. Et comment ne pas envisager, tant s’entremêlaient le laïc et le religieux, que les Bréon cherchèrent à augmenter leur prestige en pesant sur la reconstruction du chœur de l’église en style gothique où on verra que s’expriment, là encore, des influences limousines.
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Egliseneuve d’Entraigues – Chevalier sculpté sur la corbeille d’un chapiteau
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Liée aux possessions des Bréon en Artense à la frontière du Limousin,, la nomination par le prieur de Bort du desservant de Compains marque l’influence du diocèse de Limoges sur l’Auvergne. Elle peut être mise au compte à la fois des restitutions féodales à l’Église après des accaparements illégitimes aux dépens d’établissements religieux (dîmes, pillages, collations…) ; c’est aussi l’expression des réseaux laïco-religieux qui se mettent en place au profit non plus de la haute aristocratie, mais de la moyenne noblesse, (Bréon, Thynières et bien d’autres), sous la forme honorifique de l’octroi à une institution ecclésiastique de la nomination du desservant de l’église paroissiale assortie d’un bénéfice. Les réseaux familiaux fonctionnent alors à plein.
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L’ÉGLISE SAINT-GEORGES
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Au Moyen Âge : des reconstructions successives
On a vu que, selon Grégoire de Tours, le premier lieu de culte mentionné à Compains fut dédicacé au IIIe siècle à saint Michel par saint Austremoine. Passons ensuite les étapes intermédiaires entre le IIIe siècle et les alentours de l’An Mil qui ne sont pas documentées. Alors que les Bréon étaient seigneurs de Brion, on connait deux réédifications majeures de l’église de Compains qui nécessitèrent à chaque fois une nouvelle consécration du sanctuaire. Bien que reconstruction ne signifie pas obligatoirement changement de titulature, on peut concevoir que l’une de ces reconstructions joua sans doute un rôle décisif en favorisant le changement de dédicace de l’édifice.
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L’église romane
La version romane de l’église de Compains, construite au Xe ou XIe siècle n’est que partiellement connue. Il n’en subsiste aujourd’hui que la nef, ses chapiteaux et la croisée du transept, selon les observations d’Anne Courtillé, historienne de l’art. Cette phase romane participe du grand mouvement de construction d’églises qu’on constate autour de l’An Mil. C’est aussi l’époque où le maillage ecclésial se densifie au sud de Compains où sont construites les églises d’Espinchal et d’Egliseneuve.
Il faut signaler un fait curieux que nous transmet un témoin du temps : toutes les églises qu’on reconstruisit autour de l’An Mil n’étaient pas en état de vétusté. Ainsi lit-on avec surprise les écrits du moine Raoul Glaber (Vers 985-vers 1047). Il relate que lorsqu’on se lança après l’An Mil en Italie comme en France dans un grand mouvement de rénovation des églises, on rénova affirme-t-il, même celles qui n’en avaient pas besoin. Chaque communauté chrétienne rivalisait pour avoir l’église la plus belle. Dès lors, il est permis de s’interroger : l’église de Compains avait-elle besoin d’être reconstruite quand on édifia l’église romane ou profita-t-elle de l’enthousiasme architectural de la chrétienté qu’évoque Raoul Glaber ?
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Du roman au gothique : la reconstruction du chœur au temps des Bréon (fin XIIe-début XIIIe s.)
C’est sous la domination des Bréon qu’intervint la reconstruction du chœur de l’église en style gothique. Les recherches d’Anne Courtillé sur l’introduction du gothique en Auvergne qualifient de “construction en style gothique primitif” le nouveau chœur de l’église Saint-Georges que nous contemplons encore aujourd’hui. Il n’est donc pas à exclure que l’abandon de la dédicace à saint Michel au profit de saint Georges soit intervenue lors d’une nouvelle consécration de l’église consécutive, soit à la construction de l’église romane, soit à la reconstruction du chœur, reconstruit fin XIIe début XIIIe siècle. Le changement de titulature pourrait avoir été impulsé par le grand élan des croisades qui mettait en avant la dévotion à saint Georges. Contemporains et initiateurs possibles de la reconstruction du chœur entre 1275 et 1325, il se peut que les Bréon aient pris une part active à ce remaniement en finançant tout ou partie des travaux. Adaptée au nouveau style contemporain venu du nord de la Loire, l’église prit l’allure imposante que nous lui connaissons aujourd’hui.
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L’hypothèse du séisme
On a vu ci-dessus qu’on reconstruisit le chœur de l’église entre 1275 et 1325. Des recherches récentes de plusieurs scientifiques semblent montrer que, vers 1300, la région aurait pu subir un séisme. Une étude de Léo Chassiot, chercheur en sciences de la terre, évoque l’histoire du Montcineyre durant les 700 dernières années (voir notre chapitre consacré au Montcineyre). Grâce à l’étude de carottages sédimentaires, le chercheur a repéré qu’un séisme avait pu frapper la région, approximativement vers les années 1300. De son côté, le géologue Pierre Lavina identifie dans la vallée de la Couze Pavin “un dépôt détritique daté vers 1300” (cité par Michel Meybeck, limnologue, DR émérite, CNRS). Ce dépôt témoignerait d’“évènements” survenus au Pavin vers cette date.
Si un séisme régional a pu secouer la région du Pavin, disons entre 1275 et 1325, les rares textes retrouvés ne viennent pas à la rescousse pour l’évoquer. Cependant, nous nous trouvons là dans l’espace-temps envisagé par Anne Courtillé pour dater la reconstruction gothique du chœur de l’église de Compains. Alors, autorisons-nous une hypothèse de plus : ne pourrait-on envisager que l’impact de ce possible séisme sur la région de Compains ait ébranlé la vieille église romane et provoqué l’effondrement du chœur de l’édifice ? Coïncidence ou évènement qui pourrait être lié à une activité sismique survenue autour du Pavin ?
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Un remaniement réduit à l’essentiel
Quelle qu’ait pu en être la cause, on remania l’église sans vouloir dépenser plus qu’il ne fallait. Les oeuvriers du XIIIe siècle ne renièrent pas l’héritage roman et conservèrent ce qui pouvait être conservé de l’ancien édifice, en particulier la nef romane unique à deux travées presque aveugles ornée de chapiteaux naïfs. La restructuration du sanctuaire ne fut pas caractérisée par des innovations radicales et on ne remit pas en cause de la totalité du bâtiment. Mis au goût du jour, le nouveau chœur de l’église contraste fortement avec les nombreuses petites églises romanes de la région en ce qu’il donne dorénavant une forte impression de gothique. Le chœur et son chevet polygonal furent reconstruits, mais sans ostentation, dans le style “gothique de transition”, observe Anne Courtillé.
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Le choeur de l’église : quel architecte ?
Jean des Champs, architecte qui commença la construction de la cathédrale de Clermont vers 1248 participa à la propagation du gothique du nord du royaume vers le sud de la Loire. Selon les allégations non sourcées de Tardieu – mais Du Ranquet n’en parle pas – Jean des Champs ou un de ses descendants aurait pu reconstruire le chœur de l’église de Compains. On sait que les Bréon détenaient à Clermont dans le quartier de Notre Dame du Port un hospicium que Maurin de Bréon vendit en 1352. Cette présence de la famille à Clermont laisse à penser que l’un d’eux aurait pu attirer à Compains un des architectes qui œuvraient à la cathédrale. D’autre part, les Bréon voyageaient beaucoup (croisades en Orient et en Albigeois, guerres de Flandre…). Lors des combats en Flandre que menèrent les rois de France durant des décennies, ces incursions au nord du royaume mirent les seigneurs de Compains en contact avec l’art gothique qui s’était répandu au nord de la Loire. D’où probablement le choix du nouveau style du chœur de l’église, reflet de leur prestige et façon d’affirmer leur influence dans la région en y introduisant le gothique, style architectural symbole de modernité.
Le nouveau style émergent introduisit à Compains l’arc brisé qui accentue le caractère monumental du chœur et lui donne son caractère imposant. En dépit de retouches apportées au fil des siècles,(édification d’une tour d’escalier au XVe siècle, ouverture des portes occidentale et septentrionale au XIXe siècle), on peut affirmer que l’église de Compains telle que nous la voyons aujourd’hui est restée peu différente de celle que connurent les Bréon au XIVe siècle.
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Des influences architecturales venues du Limousin
L’influence limousine s’exprime sous deux aspects dans l’architecture de l’église : sur le chevet à cinq pans coupés, aux baies très élevées, très étroites, aux arcs brisés, mais aussi dans le style des pentures qui ornent la porte d’entrée méridionale de l’église. L’ensemble présente, selon Anne Courtillé, les caractères d’un “art d’importation” venu des églises du Limousin où les ordres mendiants contribuaient à diffuser l’art gothique. Nous avons vu précédemment que les observations de cette historienne de l’art sont corroborées par nos recherches qui ont décelé des relations étroites entre les bénédictins de Bort, les Thynières implantés en Limousin, les seigneurs de Brion et la cure de Compains.
• Le chœur gothique (XIIIe s.)
L’âpre climat des montagnes a influencé les constructeurs de l’église. Plusieurs hautes fenêtres très étroites éclairent largement l’abside polygonale à cinq pans. Bien adaptées à la rugosité du climat, elles compensent leur étroitesse par un large ébrasement (largeur 26 cm, ébrasement 1m 48) qui assure une bonne luminosité au chœur de l’église.
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Chœur gothique de l’église Saint-Georges
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A l’extérieur, le chevet est renforcé par des colonnes, elles aussi polygonales surmontées de chapiteaux dont on verra que les motifs ornementaux, animaliers ou humains portent un fort sens symbolique.
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Le chevet gothique et ses fenêtres étroites
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• Les pentures (XIIIe s. classées par les Monuments Historiques en 1904)
C’est le portail triplement voussuré de la façade méridionale qui, comme aujourd’hui, accueillait les fidèles. Il fut refait au XIXe siècle, époque où on construisit les portes occidentale et septentrionale de l’église. Les vantaux du portail sont couverts d’un beau travail de ferronnerie, quatre pentures en fer forgé dont le style évoque en plus rustique le type d’Auzon. Ce style est fréquemment rencontré dans la partie ouest de l’Auvergne et le Limousin.
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Pentures de la porte méridionale
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Certaines terminaisons des pentures ouvragées portent des ébauches de têtes humaines ou des gueules de montres assez frustres, mi-hommes mi-dragons chargées d’effrayer les mauvais esprits en dressant devant l’église une protection contre le démon. Ce “plafond de verre” qui marquait la frontière invisible qui devait bloquer le passage aux mauvais esprits fit à Compains l’objet d’une légende inspirée par les anciens seigneurs qu’on racontait à la veillée aux enfants.
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La légende des pentures du portail
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Il faut parfois savoir s’éloigner des faits plus ou moins démontrés par les textes pour écouter la voix de la tradition. Une fois n’étant pas coutume, tournons-nous exceptionnellement vers une légende qui courait à Compains il y a encore quelques décennies.
Cette légende nous rappelle que l’ombre des seigneurs batailleurs, les milites (gens d’armes, chevaliers), et le souvenir de leurs mauvaises coutumes (malas consuetudines), continuèrent durant des siècles de hanter la mémoire des ruraux : “des deux côtés les chevaliers se sautaient dessus les uns les autres et détruisaient par le feu les maisons et les provisions des campagnards. Et comme cela se passait en plusieurs endroits, les paysans qui craignaient l’incendie avaient éteint tous les foyers afin que les uns et les autres qui voulaient piller et réduire leurs cabanes en cendres, ne pussent trouver de brandons pour mettre le feu” (Chistian Laureçon-Rozas, citant Boudet).
Resté ancré dans des esprits accueillants aux miracles, on rapportait encore au début du siècle dernier l’histoire d’un duel transmise à travers les siècles dans les histoires qu’on racontait aux enfants. Cette légende locale magnifié par l’imagination des ruraux évoque l’origine merveilleuse des pentures de l’église Saint-Georges.
Le surnaturel s’invita dans l’histoire de Compains à l’occasion d’un “fait divers” terriblement banal au Moyen Âge. Miroir de la société féodale, on racontait qu’en un temps où les seigneurs avaient encore de “mauvaises coutumes”, deux chevaliers chevauchant leur destrier avaient engagé le combat et croisaient le fer face au porche de l’église. Blessé sous les horions de son adversaire, l’un d’eux tenta de s’échapper en profitant de l’asile qu’offrait l’église et entra à cheval dans le lieu saint. Las ! Pour Dieu, l’église n’était plus un asile si on venait s’y réfugier à cheval.
Partant de cet agissement considéré comme hautement répréhensible par les habitants, la légende s’empara de l’évènement pour y faire entrer le merveilleux et édifier les peuples. Dieu, qui ne pouvait admettre qu’on entrât impunément à cheval dans une église voulut punir le chevalier blessé. Par une intervention divine, les fers indispensables à la monture du chevalier lui furent arrachés en punition de son sacrilège. Alors que l’assaillant, craignant la colère de Dieu avait pris la fuite, le blessé regagna, penaud, son château sur un cheval aux sabots privés de leurs fers.
C’est alors que le maréchal-ferrant entra dans l’église. Voyant les fers restés posés sur le sol de la nef, il eut soudain l’idée de les transformer en pentures qui consolideraient la porte en bois du sanctuaire. C’est ainsi qu’on raconte que les fers de la monture d’un chevalier blessé seraient à l’origine des pentures du XIIIe siècle qu’on observe aujourd’hui encore sur la porte sud de l’église. Pensées pour repousser les mauvais esprits, le diable ou des agresseurs quels qu’ils soient, les pentures portent des têtes effrayantes.
Que dire de cette légende ? Recelant sans doute une part de vérité, elle est la survivance des luttes de pouvoir et des exactions de la noblesse à l’époque de la féodalité triomphante et bien plus tard encore si on se réfère aux Grands Jours tenus au XVIIe siècle (Fléchier). Ce souvenir transmis de génération en génération voulait montrer que face aux exactions de certains, Dieu se dresse contre l’arbitraire et aide le peuple à protéger l’Église, ici par le biais symbolique de pentures protectrices forgées par un habitant.
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Misère de l’église avant la Révolution
Les visites pastorales retrouvées aux XVIIe et XVIIIe siècles montrent l’état déplorable de l’équipement de l’autel et du curé. Rares à cette époque étaient ceux qui avait les moyens ou la volonté d’embellir l’église. La cure vivait dans la parcimonie, même sur l’autel. Le mobilier liturgique était souvent délabré : en 1634, l’autel n’est garni que de nappes, de chandeliers de cuivre et d’images saintes et on ne trouve à Compains “aucun confessionnal qui aurait indulgenté ladite paroisse”. En 1700, un confessionnal sommaire a été réalisé avec une telle économie de moyens que l’évêque doit demander qu’on lui ajoute “des grilles a deux écoutes, deux accoudoirs et agenouilloirs à peine d’interdiction dudit confessionnal”. Les vêtements du curé sont pitoyables, “les chapes sont toutes déchirées” les contours sont faits dans de “pauvres étoffes” et “les ornements de chasubles ont besoin d’être réparés”. En 1782, comme depuis toujours, “la lampe [de l’autel] n’est allumée que pendant l’office […] faute de fonds”. Cette pratique imposée là encore par le manque de moyens est particulièrement désapprouvée par l’évêque François de Bochard de Saron qui ordonne qu’une personne pieuse fera des quêtes dans la paroisse pour financer l’achat d’huile. Couronnant le tout, il n’y a toujours pas de sacristie lorsque survient la Révolution.
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Aspects architecturaux
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Les particularités architecturales de l’église Saint-Georges, dont une description est tentée ci-après, sont nombreuses et, pour certaines, rares en Auvergne.
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L’extérieur de l’église
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Les chapiteaux du chevet : des thèmes religieux
• Le chapiteau animalier
Un premier chapiteau au décor animalier symétrique porte de part et d’autre de l’axe médian deux animaux de profil qui s’affrontent. A gauche, un lion. Symbole de puissance, le lion, au fil du XIIe siècle, a succédé à l’ours comme roi des animaux. Il est représenté ici dressé sur ses pattes arrière, toutes griffes dehors, dans une position fréquente en héraldique.
Lions et dragons flanqués de cerfs sur un chapiteau du chevet
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Face à lui, un dragon, lui aussi dressé sur ses pattes arrière, porte des cornes de bouc et des ailes de chauve-souris. Dans cette scène où le sculpteur a voulu symboliser le combat entre le bien et le mal, le lion représente ici le croyant qui combat le péché. On peut y voir également le gardien de l’église puisque le lion, outre sa réputation de courage, était renommé dormir les yeux ouverts.
Ces deux animaux sont flanqués de deux cerfs porteurs de bois imposants. Au fil du XIIe siècle, la chasse au cerf, animal christique et gibier royal, avait remplacé la chasse à l’ours autrefois pratiquée par les nobles. Traditionnellement, le cerf tuait le serpent, incarnation du mal. La repousse de ses bois faisait du cerf un symbole de résurrection (M. Pastoureau). On remarque enfin des feuilles de houx qui comblent les vides du chapiteau et prennent la forme d’une croix sur l’axe médian. Considéré comme le symétrique hivernal du chêne, le houx symbolisait la persistance de la végétation en hiver. Depuis le temps des druides, il était aussi réputé repousser les mauvais esprits et la foudre.
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• Le chapiteau des vignerons
Le second chapiteau historié du chevet représente des têtes sereines et souriantes séparées par un entrelacs de grappes de raisin et de feuilles de vigne. Sans doute exécutés par le même artiste, les personnages portent tous la même coiffure à rouleau arborée dans l’église par les têtes des culots qui soutiennent les colonnes du chœur. Sachant que le climat interdit la culture de la vigne à Compains, on ne peut voir ici une représentation de la vie rurale locale. C’est donc un thème religieux que le sculpteur a voulu évoquer ici : celui du Christ et de l’eucharistie.
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Chapiteau des vignerons
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Nous observerons plus loin le contraste entre ces deux chapiteaux du chevet, d’un symbolisme religieux recherché, et la simplicité agreste des chapiteaux romans qu’on découvre dans la nef.
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Les modillons
Deux des modillons du chevet retiennent l’attention : l’un représente une tête d’homme de forme ovale (l’architecte du chœur ?) ; plus simple, l’autre est formé d’une succession de rouleaux.
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Modillons du chevet
Modillon à tête d’homme
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La tour d’escalier (XVe s.)
Édifiée au XVe siècle près du transept sud de l’église, la tour d’escalier donne accès au clocher. La documentation ne nous aide pas à découvrir qui voulut et eut les moyens de faire construire cette tourelle qu’on voit mal financée par les habitants dispersés ou disparus alors que le pays venait de subir les ravages de la guerre de Cent ans. Il pourrait s’agir des Souchet, acheteurs en 1411 de la seigneurie de Brion qu’ils vendront vers 1525 à François de Montmorin-Saint-Hérem. Seigneurs du lieu durant plus de cent ans, les Souchet, en ajoutant à l’église cette tourelle, pourraient avoir voulu laisser leur empreinte dans leur seigneurie des montagnes. Sans grand souci du bâti existant, la construction de la tour la positionne à cheval sur une des verrières de l’église qu’elle obstrue en partie. A moins que cette absurdité ne résulte d’une modification du bâti réalisée plus tard, et à moindres frais.
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Coexistence du christianisme et du paganisme sur la tour d’escalier
A l’angle d’un des murs de la tour, fut sculptée une minuscule tête humaine dont la signification mystérieuse nous interpelle. Le cercle bleu tracé ci-dessus sur la tour désigne l’emplacement de cette tête, peut-être un “veilleur de pierre”, figurine protectrice qu’on plaçait en Auvergne à l’angle de deux murs d’une maison ou sur sa façade pour la protéger, ou encore un salguebrou qu’on trouve parfois représenté sur les façades des églises.
• Une christianisation progressive
L’évangélisateur Antoninus évoqué plus haut n’avait sans doute comblé qu’en partie les besoins de spiritualité des montagnards des profondeurs de l’Auvergne. Les anciennes croyances en des forces à conjurer – qu’on nommera ici, par facilité, des superstitions ou des “croyances complémentaires” – ne s’éradiquèrent que peu à peu. La conversion des peuples au christianisme demeura longtemps superficielle au profit d’une concurrence ou même parfois d’un affrontement avec les anciennes croyances.
Au fil du temps, l’Église réussit à christianiser les lieux vénérés depuis des temps immémoriaux par les communautés rurales. On attribuait aux sources des vertus qui furent particulièrement battues en brèche. On a ainsi vu à Compains deux chapelles construites près de sources considérées comme guérisseuses et situées en pleine nature : au sud du bourg, l’oratoire de Saint-Georges et au nord la chapelle Saint-Gorgon qui succéda au XIXe siècle à une croix plantée au moins depuis le XVIIe siècle près d’une source affluente du ruisseau de la Gazelle. Et que dire des pentures de la porte sud de l’église déjà décrites ci-dessus haut.
Un salguebrou sur la tour ?
Ces croyances “originelles” furent mises en évidence par les oeuvriers de l’église. La tête énigmatique représentée au XVe siècle sur l’angle de la tour d’escalier, la bouche grande ouverte pour mieux crier ou souffler, pourrait être un “repousseur de mauvais esprits” dit en occitan salguebrou ou salgabri. Placées généralement sur les portails des églises, ces têtes “repoussantes” étaient chargées, par leurs clameurs, de défendre au démon l’accès des sanctuaires (Brandon S., Cahiers du Vieil Allanche n°12, 2019).
Aux environs de Compains, deux têtes de salguebrous figurent sur les modillons du porche gothique flamboyant de l’église d’Allanche. Les églises d’Ydes, de Fontanges et de Saint-Anastasie en sont aussi dotées. A Compains quels buts poursuivait-on au XVe siècle en plaçant un salguebrou précisément sur la tour d’escalier qui conduit au clocher plutôt que sur le porche d’entrée de l’église ? On peut penser que le sculpteur avait pour objectif, non d’éloigner le diable, mais plutôt de protéger le sonneur de cloches lors des terribles orages subis par la région.
Des salguebrous à l’entrée du choeur ?
Que suggèrent les deux petits culots en forme de tête coiffée de rouleaux situés de part et d’autre du chœur de l’église ? Ces petits visages tournés vers l’autel arborent un visage serein, mais déterminé. Ils montrent une bouche arrondie qui semble souffler vers l’autel, tel le salguebrou de la tour. Peut-être des chanteurs.
Retombée de voûte à l’entrée du chœur
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Le “clochier” et son coq
Pratique courante en région de montagne, le toit du “clochier de Compens” est couvert de tavaillons de châtaignier, des tuiles de bois, dites allebardeaux dans le parler local. Cette technique, pas si courante dans le Puy-de-Dôme, a valu au clocher de l’église de Compains d’apparaître en quatrième de couverture de l’intéressant ouvrage de Marcel et Maryse Pierre, Clochers de Basse Auvergne, éd. Créer, 2006.
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Le clocher couvert de tavaillons de châtaignier
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L’ancien coq qui surmontait le clocher est aujourd’hui placé dans l’église. Symbole de renaissance et de vie, le coq est associé chez les chrétiens au reniement de saint Pierre au lever du jour et à la résurrection. Depuis 2016, une nouvelle girouette surmontée d’un coq, coiffe le clocher de l’église Saint-Georges.
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L’intérieur de l’église
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La nef romane
La nef unique à deux travées est un reliquat de l’église romane originelle probablement couverte d’une charpente en bois. Aveugle du côté nord, la nef est sombre. Côté sud, l’unique verrière à faible ébrasement qu’on voit aujourd’hui fut sans doute un ajout postérieur qui expliquerait le caractère bricolé de cette baie au mur inachevé à la jonction entre la tour et le mur de la nef. Sans doute un travail négligé réalisé par des maçons peu qualifiés. Côté ouest, le portail ajouté au XIXe siècle est surmonté d’un oculus qui dispense une lumière parcimonieuse sur lequel on retrouve une fois encore saint Georges.
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Lithographie et dessin d’Émile Sagot (1801-1900)
Arch. dép. du Puy-de-Dôme, Photothèque Cg63 – Reprod. Serge Seguin 57 Fi 302
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Cette vue d’artiste montre devant l’autel le chancel, aujourd’hui déplacé dans le transept nord. La nef est dépourvue de tout siège. Des fidèles sont agenouillés à même le sol. Un texte de 1782 révèle que dans l’église de Compains “il n’y a d’autre banc que celui du seigneur” qui bénéficiait de droits honorifiques dans l’église. Le 16 novembre 1790 un arrêté du Conseil général du Puy-de-Dôme supprimera les bancs seigneuriaux dans les églises paroissiales.
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Les chapiteaux de la nef : une inspiration rurale
Les colonnes engagées de la nef présentent pour certaines des chapiteaux floraux qui revêtent un aspect purement ornemental. Élancées et galbées, les corbeilles historiées ont un goût de terroir. Délaissant l’inspiration religieuse, l’iconographie profane des chapiteaux évoque la vie champêtre des montagnes. Ici, ce sont les humbles qui sont à l’honneur. On est loin du symbolisme religieux des chapiteaux du chevet vus plus haut et en totale opposition avec les chapiteaux à sujet religieux d’Egliseneuve d’Entraigues, de Besse ou de Lanobre, par exemple.
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Têtes paysannes et bottes de seigle sur les corbeilles des chapiteaux
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Chapiteau du berger
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Le sculpteur n’a voulu représenter ici que la vie des montagnes, ses paysans et ses cultures. Les arêtes des corbeilles historiées présentent plusieurs hommes barbus et moustachus et une femme qui porte un fichu, séparés par des bottes de seigle ou des motifs floraux. Le personnage en pied est vêtu d’une robe et appuyé sur un bâton. Il pourrait évoquer les bergers qui gardaient les troupeaux dans les montagnes ou le Bon Pasteur (Évangile de Luc, chap. 15), ou même un pèlerin soutenu par son bâton. La partie basse des chapiteaux est formée de feuillages en crochet.
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La chaire
Décorée de trois panneaux de bois sculpté, la chaire à prêcher était surmontée d’un dais et placée à gauche de la nef, près du transept. Comme tous les objets religieux à cette époque, la chaire est dite en 1782 “dans le plus mauvais état et de toute vétusté”.
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La chaire dans les années 1930
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Aujourd’hui démontée, la chaire était encore visible dans les années 1930 comme en atteste la carte postale ci-dessus. Seuls deux des trois panneaux de bois sculpté de la cuve de la chaire sont encore conservés dans la sacristie de nos jours. Sur le panneau de gauche apparaît l’auteur du deuxième évangile, saint Marc, célébré le 25 avril. A ses pieds le lion, son attribut traditionnel, dont Marc évoque les rugissements dans les premiers versets de son évangile. Sur le panneau de droite, Moïse porte les Tables de la Loi.
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Panneaux de bois de l’ancienne chaire – A gauche saint Marc, à droite Moïse
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Les culots
L’imagination des tailleurs de pierre auvergnats fit son œuvre à l’entrée du chœur de l’église. Regardant l’autel, deux paires de culots d’exécution très soignée terminent les colonnes tronquées des retombées de voûtes. Les deux premiers culots représentent des têtes d’hommes aux traits ronds et simples qui portent une chevelure à rouleaux comme on en trouve à Aigueperse et Riom ; deux autres culots montrent des mains qui semblent jaillir du mur pour soutenir les colonnes. Les mains aux doigts écartés et aux ongles marqués semblent tendues vers l’autel.
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Dans l’abside, on remarque les trous de boulins pratiqués lors de la construction des parties hautes du chœur. Ces trous quadrangulaires étaient destinés à insérer des pièces de bois pour cintrer les arcs (B. Phalip, Pour une étude des techniques de construction, vol. III).
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La cuve baptismale (XIIe-XIIIe s.)
Classée par les Monuments Historiques en 1961, la cuve baptismale, un temps située à l’extérieur de l’église, est aujourd’hui placée dans le transept nord. On peut penser qu’à l’époque de sa mise en place elle était installée plus traditionnellement à l’entrée de l’église et que, compte tenu de l’interruption de la sculpture qu’on distingue ci-dessous à droite, elle était adossée à un mur.
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Fonts baptismaux
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Datés des XIIe-XIIIe siècles par le Ministère de la Culture, (base Palissy), ces fonts baptismaux firent l’objet de critiques répétées lors des visites pastorales de l’évêque. Les fonts n’étaient pas couverts d’une “piramide” de bois, (couvercle pointu) et l’eau du baptême reposait directement dans le bassin de pierre. La cuve est décrite en bon état en 1700 lors de la visite pastorale. Il y manque cependant toujours la pyramide qui ne sera installée qu’au début du XVIIIe siècle, sans doute à l’initiative du curé Jean Breulh.
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La croix de cimetière
Autrefois placée à l’extérieur de l’église près de la porte sud, l’ancienne croix du cimetière est aujourd’hui placée dans le transept nord. C’est une croix d’andésite aux bras courts et cylindriques et aux amortissements arrondis. Elle porte un Christ caractéristique de l’art populaire auvergnat. Le buste du donateur placé au pied du fût surmonte un socle octogonal de facture gothique. Au revers de la croix est sculptée la Vierge.
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Buste du donateur
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La croix du cimetière avant son transfert dans l’église (ci-dessus à droite)
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La châsse de saint Gorgon
L’église Saint-Georges détenait une châsse du XIIIe siècle que les Monuments Historiques classèrent en 1904. Cette belle châsse en cuivre plaqué sur âme de bois en forme de maison date donc du temps où les Bréon étaient seigneurs de Compains. Ils en furent probablement les donateurs.
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La châsse de saint Gorgon
Ministère de la culture, Conservation des antiquités et objets d’art du Puy-de-Dôme, base Palissy – Patrimoine mobilier © Monuments historiques 1993 – Cl. Christine Labeille
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La base Palissy du Ministère de la Culture semble ne pas connaitre le propriétaire de cette châsse. Elle indique à son sujet : “propriété de la commune (?)”. Qui est donc réellement propriétaire de la châsse ? La commune ou sinon qui d’autre ? Et où est-elle aujourd’hui conservée ?
Nous manquons d’informations à ce sujet et nos questions posées au Ministère de la Culture sont restées à ce jour sans réponse.
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Renouveau décoratif au XIXe siècle
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Un nouvel autel de marbre blanc…
La seconde moitié du XIXe siècle est caractérisée en Auvergne par un important mouvement de rénovation des églises encouragé par les évêques. Compains n’échappa pas à ce mouvement rénovateur et cette période se signale par de nombreux embellissements apportés à l’église, dont un autel en marbre blanc surmonté d’un tabernacle qui va trouver sa place dans le chœur.
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L’autel
Ces autels étaient proposés aux communes sur catalogues. L’ensemble est sensiblement différent de l’ancien autel-tombeau représenté quelques années auparavant par Emile Sagot. Pour financer cet achat, le conseil de fabrique dut faire appel aux dons des paroissiens.
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…et des vitraux offerts par les paroissiens
Les vitraux qui ornent l’église sont dus, eux aussi, à la générosité des paroissiens. On citera en particulier le vitrail de saint Georges placé dans l’oculus de la porte occidentale et, don de Jeanne Verdier de Chaumiane en 1901, le beau vitrail de saint Gorgon placé dans le transept (voir aussi le chapitre consacré à La chapelle Saint-Gorgon).
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Saint Georges à gauche – Saint Gorgon à droite
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Vue nocturne de l’église Saint-Georges – Sur la place, un Sully
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