– Les agents seigneuriaux
Les agents du seigneur absentéiste gèrent “les peuples”
Comment une seigneurie fonctionnait-elle au quotidien ? Dans cette esquisse d’approche de l’administration quotidienne de la seigneurie de Brion, Compains et Chaumiane aux XVIIe et XVIIIe siècles, quelques exemples aideront à tenter d’approcher l’action des agents seigneuriaux qui, dans les domaines les plus variés, oeuvraient au bon fonctionnement de la châtellenie de Brion.
Maintenir le contrôle social
Le paysan tenancier dans la seigneurie de Brion voit très rarement le seigneur. Vivant loin de ses terres, le comte de Brion choisit et nomme sur place des officiers de justice et de police et divers agents seigneuriaux. Incarnation de l’autorité et de la surveillance qui doit s’exercer au quotidien sur la communauté villageoise, ils serviront d’intermédiaires entre lui et les paysans pour gérer la seigneurie et y maintenir la paix sociale.
Dans un milieu composé majoritairement de paysans illettrés, les agents seigneuriaux sont choisis parmi ceux qui, à Compains ou dans les paroisses environnantes, ont pu accéder à l’écrit et acquérir des connaissances juridiques. Certains sont licenciés ès lois ou avocats au parlement. Censés défendre les intérêts du seigneur mais aussi ceux de la communauté paysanne, ces agents de proximité chargés de maintenir l’ordre public travaillent dans la dépendance du seigneur et tiennent entre leurs mains la majeure partie des rouages du village.
Les agents seigneuriaux tiennent les postes clés de la paroisse
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, la justice seigneuriale est devenue une justice de proximité qui laisse les cas importants à la justice royale, plus lointaine. Chaque seigneurie conservait cependant ses propres agents seigneuriaux qui assuraient notamment une justice et une police du quotidien : juge “châtelain” assisté d’un lieutenant, procureur d’office parfois dit procureur fiscal, assistés d’agents auxiliaires recrutés à un niveau inférieur, greffier, sergent à pied ou à cheval, garde des bois… Habitant Compains ou les villages environnants, ils sont bien connus des habitants pour qui leur famille travaille souvent de génération en génération comme, par exemple, les Morin à Compains. Les agents seigneuriaux contribuent au respect de la loi et de la coutume dans une paroisse où les habitants réputés “revêches” sont parfois enclins à des actes de violence. Ils enquêtent notamment sur les voies de faits et les vols, assurent la police des foires de Brion, protègent les orphelins en veillant à ce que les tuteurs ne les dépouillent pas, procèdent à des inventaires, suivent les affaires d’infanticide…
MAINTIEN DE LA PAIX SOCIALE AU TEMPS DES LAIZER
La potence des Bréon qui déchaînait les bagarres avec les gens des Saint-Nectaire au Moyen Âge a depuis bien longtemps disparu quand Jean Ier de Laizer achète la seigneurie de Brion (1654). Laizer est cependant toujours dit seigneur “haut justicier”, cette haute justice qui, au Moyen Âge, donnait au seigneur local un droit de vie et de mort sur ceux qui vivaient dans le ressort de sa justice et l’autorisait à dresser des “fourches patibulaires” (gibet, potence) où on pendait haut et court les gibiers de potence.
Dans la seconde partie du XVIIe siècle, la justice seigneuriale s’est depuis longtemps effacée pour les cas les plus graves derrière la justice royale. Les particularismes inhérents à chaque justice seigneuriale laissent place après une ordonnance de 1667 à une uniformisation des procédures auxquelles sont censés devoir se conformer les seigneurs. Ainsi par exemple, lors d’une saisie, on doit désormais laisser aux paysans un minimum de biens indispensables à leur survie, “une vache, trois brebis ou deux chèvres, un lit, un habit, les ustensiles et les bestiaux pour le labourage”. L’arbitraire seigneurial est désormais battu en brèche. Il subsistera néanmoins environ 50 000 justices seigneuriales de proximité à la survenue de la Révolution (F. Gleize).
Complexité du ressort des justices
A Compains comme partout avant la Révolution, la complexité des justices était extrême et déterminer les contours de leurs ressort enchevêtrés est extrêmement difficile. Le ressort de la justice de la seigneurie de Brion couvrait, outre le village seigneurial de Brion, Compains, Chaumiane et quelques hameaux voisins. Vivre dans la paroisse de Compains ne signifiait donc pas qu’on était obligatoirement jugé par des agents du seigneur de Brion. Autour de la seigneurie c’était l’imbroglio. Les habitants de Marsol relevaient de la justice des Saint-Nectaire et donc de la justice de Murols ; les villages des hautes terres d’Entraigues, (Espinat, Redondel, Graffaudeix…), étaient à la justice du seigneur d’Egliseneuve ; le village de Cureyre et les terres presque inhabitées du nord-ouest (Cocudoux…) ressortaient à la justice de Sain-Hérem du marquis de Miramon. Au sein même de la paroisse, c’est le lieu où a été commis l’infraction qui détermine la justice qui jugera. Au quotidien, une infraction d’un habitant de la seigneurie de Brion commise à Marsol relevait de la justice des Saint-Nectaire à Murols et non de la justice du seigneur de Brion. Enfin, pour ne rien simplifier, un seigneur qui avait besoin d’argent pouvait vendre la justice tout en conservant la seigneurie car “fief et ressort n’ont rien de commun”, dit la coutume d’Auvergne.
LE JUGE CHÂTELAIN
Choisi par le seigneur, le juge de proximité, dit “juge châtelain”, est secondé par un “lieutenant”. Ce binôme veille notamment au prélèvement seigneurial, contrôle le bon déroulement des foires, préside aux enquêtes civiles et criminelles et auditionne les témoins lors des meurtres. Capable d’apaiser les difficultés relationnelles de la vie quotidienne en trouvant des accommodements, ils sont confrontés à une grande diversités de tâches telles que résoudre les petits litiges, assister aux conseils de famille ou édicter des règlements de police. Cumulant parfois plusieurs offices, ils ne résident pas forcément là où ils exercent.
Le juge châtelain arbitre un conflit à Espinat
La première enquête d’un juge châtelain retrouvée à Compains concerne en 1513 un banal conflit d’estive surgi entre le habitants d’Espinat. Conscients qu’ils surexploitaient la Montagne des Fraux, les paysans demandent l’arbitrage de Moyne, le juge châtelain alors employé par Jean de Montmorin-Saint-Hérem. Moyne est alors juge des quatre villages détenus par Montmorin : Chaumiane, Espinat, Cureyre et La Fage. Ces hameaux comptent au nombre des premières possessions des Montmorin à Compains, détenues avant même l’achat vers 1525 de la seigneurie de Brion par François de Montmorin.
A Espinat, contrevenant à la coutume d’Auvergne, plusieurs paysans faisaient pacager dans les montagnes plus de bétail qu’ils ne pouvaient hiverner de leurs foins et pailles. Le juge châtelain, “après inquisition”, arbitre entre les paysans et conclut à une double réduction indispensable : il faut diminuer le nombre des paysans qui font pacager dans la Montagne des Fraux et chacun devra en outre réduire le nombre de bêtes qu’il fait pacager, solution à laquelle se rallient les habitants.
Maçons contre maçons
Dans le cas d’une victime étrangère au village, il semble que le juge châtelain ne se mobilisait qu’à la demande expresse du plaignant. Jean Dupeyry maçon de la paroisse de Gioux dans la Marche est victime en 1750 d’une agression perpétrée au bourg de Compains par des collègues à lui devenus des rivaux, deux autres maçons venus du même village marchois. Blessé, Dupeyry saisit par écrit le juge châtelain dans une supplique où il détaille les sévices subis et réclame que justice soit faite. Le juge qui donne suite à la demande de la victime assigne à comparaître des témoins de l’agression non suspects aux parties ainsi que le médecin et le chirurgien qui ont “pansé et médicamenté” le maçon. On ne sait si l’affaire se solda par un arrangement financier mais ce type de conciliation était alors courant pour mettre fin à beaucoup d’affaires.
LE PROCUREUR D’OFFICE
Chargé de veiller aux intérêts du seigneur et à l’intérêt général de la communauté villageoise, le procureur d’office a de multiples attributions. Il collecte le cens dû au seigneur, assure notamment la police des estaminets lors des foires de Brion, vérifie les poids et mesures, convoque les conseils de famille en cas de disparition d’un père d’enfant mineur, surveille la reddition des comptes de tutelle quand les enfants sont devenus majeurs, préside aux renonciations aux successions et reçoit les déclarations de grossesse illégitime. Il exerce une police rurale (chasse, pêche) veille à la prévention des incendies et fait vendre “sur placards”.
On trouvera exposés ci-après trois exemples d’interventions du procureur d’office qui illustrent la diversité de leurs interventions. Le premier évoque un danger quotidien, les incendies, le deuxième concerne l’inventaire du mobilier de feu Martin Vigier, curé de Compains, le dernier porte sur une triste affaire d’infanticide. Dans chaque cas, les officiers seigneuriaux sont censé intervenir pour le bien public.
La prévention de l’incendie
Les agents seigneuriaux chargés de la police rurale peinaient à faire respecter les ordonnances royales sur la prévention des incendies. On préférait la plupart du temps tirer un coup de fusil dans la cheminée pour en éviter le ramonage ! Le 12 mai 1786, un terrible incendie avait réduit en cendres 25 des 38 maisons et bâtiments du village de La Godivelle. Tous les moyens avaient pourtant étés mis en oeuvre pour réduire le sinistre, jusques et y compris “trente-deux pots de vin jeté dans les flammes” fournis par François Rahon, l’aubergiste du village. Plusieurs habitants étaient morts, d’autres avaient été gravement brûlés. La plupart des habitants étaient réduits à la misère.
Au sud-ouest de la paroisse de Compains, la réaction des agents seigneuriaux de la seigneurie d’Entraigues voisine de La Godivelle ne se fait pas attendre. Le procureur fiscal et le lieutenant civil, criminel et de police du baillage d’Entraigues ordonnent que chacun des habitants de la justice d’Entraigues sera tenu de remettre sa cheminée en état sous peine de dix livres d’amende. L’ordonnance est appliquée à la porte de l’église Saint-Austremoine à Egliseneuve d’Entraigues, le curé la lit au prône et elle est affichée en divers endroits. Bien qu’assortie d’une amende, l’ordonnance ne mobilise cependant pas la population. Ce que voyant, le procureur fiscal décide alors de prendre son bâton de pèlerin. Accompagné d’un maçon, il se rend dans tous les villages de la justice d’Entraigues pour y examiner une à une les cheminées et ordonne que ceux qui n’auront pas fait les travaux de ramonage nécessaires n’auront plus le droit d’allumer le feu dans leur maison. On ne sait comment fut reçue – si même elle fut appliquée – cette injonction qui illustre aussi bien la réactivité et la conscience du danger de l’agent seigneurial, que la passivité de la communauté rurale face à un danger que chacun savait pourtant omniprésent.
L’inventaire des biens de Martin Vigier, curé de Compains
Deux jours après la mort de Martin Vigier curé de Compains, en l’absence du juge châtelain Nicolas Fournier, c’est Pierre Morin Nabeyrat procureur d’office de la justice de Compains et Pierre Chandezon avocat au parlement qui se transportent le 17 novembre 1747 dans la maison curiale de la paroisse où le curé est décédé. Assistés de Nicolas Morin, greffier, ils doivent établir l’inventaire des biens du curé “pour en éviter le divertissement et la frustration” et y apposer des scellés. Le procureur d’office se met en quête des registres paroissiaux, des papiers de la cure et de divers objets religieux qu’il retrouve, non chez le curé, mais dans un espace qui sert de sacristie derrière l’autel de l’église Saint-Georges. Le tout est mis sous scellés aux armes du procureur en attendant l’arrivée du nouveau curé.
L’infanticide d’Anthonia Roux
Les faits ont lieu à La Ronzière, hameau proche du bourg de Compains mais situé dans la justice de Saint-Hérem. En l’absence du juge châtelain et du procureur d’office retenus dans d’autres paroisses, la communauté villageoise en émoi s’adresse à Antoine Chabru, ancien praticien (homme de loi) et notaire en la châtellenie de Brion et Compains. Chabru est alerté le 9 mars 1658 par “un bruit commun et rumeur populaire”. Les habitants insistent pour que soit recherchée d’urgence Anthonia Roux qu’ils soupçonnent d’avoir caché sa grossesse “témoignant par ce moyen en avoir quelque mauvais desseing”. La rumeur soupçonnait Anthonia d’avoir mis fin aux jours de l’enfant qu’elle venait de mettre au monde. En l’absence des officiers seigneuriaux, Chabru se hâte de chercher des témoins qui le seconderont dans son enquête. Il les choisit parmi les employés de Jean de Laizer : Anthoine Peyronnet, “agent et domestique de monseigneur”, habitant de Groslier, Guillaume Billom ” a présent demeurant dans une dite chambre dudit chastiau dudit Compeins”, et Antoine Verneire qui cumule les fonctions de “sergent et concierge dudit chastiau”. Rappelons qu’il était coutumier de nommer “chastiau” la bâtisse située près de l’église du bourg où le seigneur faisait halte lors de ses passages à Compains.
Interrogée lors de l’enquête, Anthonia Roux reconnait avoir mis au monde en secret un enfant né dans l’étable à l’insu, dit-elle, de ses père et mère. Elle déclare qu’“ayant faict l’enfant elle l’a faict mourir lui ayant serré le gozier et l’auroit mis et jetté dans une paillasse enveloppé dans un linge”. L’enfant est en effet retrouvé dans “la fromagerie mort devant la porte de l’estable de son père”. Un chirurgien de Besse qu’on est allé quérir expose “que ledit enfant auroit esté estranglé et la teste luy auroit esté escrasée”. On décide d’incarcérer la malheureuse qui n’est pas en état de marcher. Le sergent la place alors dans une charrette et enjoint à un habitant de la conduire “dans la prison dudit chasteau de Compeins“. En dépit des ordonnances royales qui prescrivent depuis le XVIe siècle que la prison doit être “saine et sure”, ce qui tient lieu de prison à Compains sert si rarement qu’on ne peut y placer la prévenue “et parce que le chastiau estant fermé et n’y ayant aucun locataire dedans, il [le sergent Anthoine Vernière] fust contraint la garder dans sa maison pendant cinq jours et cinq nuitz”. On notera le sous équipement de la seigneurie pour incarcérer les contrevenants mais il est vrai que la justice avait pour le seigneur un coût qui faisait qu’on manquait d’insistance à poursuivre les criminels qu’on laissait “s’absenter” avec facilité quand ils ne s’évadaient pas de prisons souvent mal cadenassées.
De retour dans la seigneurie, Antoine Coyssard, lieutenant de la châtellenie de Brion ouvre une information deux semaines plus tard contre l’infortunée Anthonia qui “estrangla son fruict”. Interrogée, la mère de l’enfant accable le père suborneur “disant que ledit Desserres [dit] Fanfare l’avoit subornée et seduitte luy donnant aussy conseil de faire mourir son fruict que si elle ne le faisoit il la ferait mourir sans rémission”. Sous serment prêté devant le sergent, plusieurs témoins accablent Anthonia, ses parents et le suborneur que plusieurs affirment avoir vu “le soir entre chien et loup en cachette se trainan de buisson en buisson à la faveur des rochiers dont la ville de La Ronzière est entourée”. Une fois close cette information, le procès verbal et la plainte sont communiqués au procureur d’office et acheminés jusqu’à la cour de Saint-Hérem, sans qu’on connaisse la suite donnée à cette unique affaire d’infanticide retrouvée pour l’instant à Compains.
LES AGENTS SUBALTERNES
Greffier – Huissier – Sergent – Garde des bois
Dans une société aussi procédurière que la communauté villageoise de Compains, les agents auxiliaires des juristes sont amenés à de fréquentes interventions. Le greffier qui a affermé son office pour une somme modique, établit les comptes rendus des audiences et conserve les papiers et registres de justice. L’huissier établit les actes d’ajournement et le sergent fait du porte à porte pour signifier et faire exécuter les sentences “en parlant a la personne” concernée. On évoquera enfin le “garde des bois”, dit aussi “garde chasse des eaux et forets”. Il surveille en particulier la forêt du Montcineyre dont les bois très convoités étaient pillés sans vergogne.
MÉFIANCE ET CRITIQUES à L’ÉGARD DES AGENTS SEIGNEURIAUX
Le cumul de fonctions : légal mais peu favorable aux habitants
Révocables au gré du seigneur, les agents seigneuriaux n’exerçaient qu’épisodiquement leur activité, qui plus est faiblement rétribuée et souvent en nature. A titre de compensation, ils étaient autorisés à cumuler des fonctions dans différentes seigneuries tout en continuant d’exercer parallèlement leur activité principale de marchand de bestiaux ou de laboureurs. Cette pratique accentuait l’influence de certaines familles de juristes, d’avocats ou de notaires qui, en mutualisant leurs connaissances du terrain pouvaient profiter d’opportunités ignorées du reste de la communauté villageoise.
Certain de ces agents, sans doute considérés comme trop liés au seigneur, suscitaient la défiance des habitants, davantage semble-t-il au temps des premiers Laizer avec lesquels l’entente était difficile. Aussi, pour contourner l’agent seigneurial, certains compainteyres saisissent-ils l’opportunité de faire eux-mêmes l’inventaire de leurs biens lors de la rédaction de leur testament. Il s’agissait d’éviter que l’agent seigneurial ne vienne faire lui-même l’inventaire après le décès et prenne une connaissance trop précise de l’étendue des biens du testateur.
Le testament-inventaire de Pierre Morin-Nabayrat (1662)
Habitant du bourg de Compains, Pierre Morin Nabeyrat est un gros laboureur propriétaire d’un important cheptel vif composé d’un troupeau de 38 bovins, 13 brebis, deux “pourceaux” et quatre chèvres. Son mobilier est lui aussi conséquent avec notamment trois vaisseliers garnis d’objets en cuivre et en étain, une table, deux bancs, sept coffres. Outre l’équipement important qu’il détient pour gérer sa ferme, il possède 10 à 12 “bourniers” (ruches) pour les “mousses a miel” (abeilles). Dans son testament-inventaire rédigé en 1662 par Jean Morin notaire en présence du curé et de plusieurs témoins, il déclare vouloir faire lui-même l’inventaire de ses biens et montre sa défiance à l’égard des officiers du seigneur “affin que personne ne praine autre et plus grande connaissance des biens que ledict testatteur laissera le jour de son dessès et que autre inventère ne soit faict, décrété par messieurs les officiers de la jouistice de Compains…iceluy testateur a faict et dict luy mesme de sa propre bouche l’invantère de ses dicts biens tant meubles qu’immeubles…”. Il souhaite en outre que les officiers de justice de Compains se contentent d’ajouter foi à ses dires.
Le testament-inventaire de Jean Boyer (1705)
Dicté au notaire royal en 1705, le testament-inventaire de Jean Boyer laboureur au bourg laisse apparaître la même circonspection à l’égard des agents seigneuriaux. Relativement “commode”, Jean Boyer ne souhaite pas mettre sous les yeux d’un agent seigneurial les biens dont il dispose. Le notaire établit l’inventaire en se déplaçant de pièce en pièce et dévoile les objets indispensables à la vie quotidienne avec même quelques objets “superflus” en cuivre et en étain et une “armoirette”. A l’étable se trouve un cheptel vif important qui compte 25 bovins, 12 brebis et une jument et les outils agricoles nécessaires à la mise en valeur des terres. Jean Boyer exprime dans son testament le souhait “que personne ne prenne plus grande connaissance des biens que ledit testateur laissera le jour de son décès et que autre inventaire ne soit fait d’iceux par messieurs les officiers de la justice de Compains” et il prie les officiers “d’ajouter foy au parfait inventaire” quand il le découvriront. Le souhait du mourant fut-il respecté ?
Si les manifestations d’opposition aux abus d’un agent seigneurial sont rares, elles n’en sont pas moins présentes, sans qu’on puisse évidemment juger de leur bien fondé.
Procès contre le juge châtelain de Brion, Antoine Desserre (1710)
L’exercice de la justice seigneuriale au village pouvait donner lieu à des abus qu’il arrivait que le parlement condamnât. Les agents seigneuriaux, y compris le juge châtelain n’étaient pas à l’abri d’un procès quand un habitant qui s’estimait lésé avait les moyens de plaider contre lui.
Parmi les prélèvements seigneuriaux imposés aux paysans figurait le lods et vente, une taxe de mutation à payer au seigneur pour le transfert d’un bien immobilier et l’enregistrement de la vente. Son montant pouvait être très variable. Antoine Chanet, gros marchand de Brion, bénéficia en 1710 d’un arrêt de la cour du parlement rendu contre Antoine Desserre, bourgeois de Besse et juge châtelain de Compains. Desserres, qui avait indument exigé de Chanet un droit de lods trop élevé, fut condamné à payer la forte somme de 900 livres d’indemnités à Chanet pour cet abus. Une transaction entre les deux adversaires fut négociée par deux prêtres, à l’exclusion des agents seigneuriaux, sans doute soupçonnés d’avoir partie liée avec le juge. On remarquera qu’il ne s’agit pas là d’une action de groupe des habitants de Brion, comme on l’a vu dans le cas du lac des Bordes (Chapitre Lacs et tourbières). Procéder au parlement coûtait cher et Chanet devait être bien sûr de son droit et doté de moyens financiers suffisants pour aller jusqu’à plaider contre le juge seigneurial.
LES NOTAIRES
Les notaires authentifient les actes et les contrats et les mettent en forme. Les seigneurs nommèrent longtemps des notaires seigneuriaux, mal formés mais serviteurs zélés de leur maître, avec les inconvénients qu’on peut concevoir pour la population. L’intendant d’Auvergne, Jean de Mesgrigny, regrettait en 1637 la trop grande abondance et le manque de titres de ces pseudo notaires trop nombreux et qui manquaient de connaissances juridiques. Ils seront remplacés progressivement par des notaires royaux diplômés et dotés de lettres de provision après une enquête de compétence et de moralité. Ci-après, quelques exemples.
COYSSARD : un notaire qui cumule les fonctions
Dès le XVIe siècle on voit apparaitre à Compains une famille de notaires qui cumule cet emploi avec des postes d’officiers seigneuriaux. Jehan Coyssard du Valbeleix est le plus ancien notaire royal retrouvé occupant d’importantes fonctions à Compains. Issu d’une famille de juriste qu’on retrouve à Compains pendant environ deux siècles, il cumulait avant 1586 son activité de notaire avec celle de “lieutenant général en nos dites seigneuries desdits Bryon, Chaulmiane et Lameyrand” pour le compte de Gaspard Ier de Montmorin-Saint-Hérem. L’office de lieutenant général va se transmettre héréditairement après la mort de Gaspard. Son frère Jean II de Montmorin-Saint-Hérem qui lui succède se rend en 1586 à son “chasteau de Compains” pour nommer le fils de Jehan, Anthoine Coyssard au même office que son père “lieutenant général du fief et seigneurie de Brion, Chaumiane et Lameyrand”. Il ordonne à ses sujets de la paroisse de lui obéir. Habitant du Valbeleix, Anthoine Coyssard sera simultanément notaire royal au Valbeleix et bailly de Saint-Diéry.
Jean II de Montmorin-Saint-Hérem nomme Anthoine Coyssard au poste de lieutenant général de la seigneurie de Brion (1586, extraits)
Il faut noter que le rayonnement d’une famille éduquée ne se limitait pas à l’acquisition d’offices. A condition de donner satisfaction au seigneur, les postes se transmettaient de père en fils. Une même famille pouvait aussi encadrer dans un même village le temporel et le spirituel. Ainsi voit-on en 1577 Guillaume Coyssard parvenu au poste de curé de Compains. Les Coyssard œuvreront encore au XVIIIe siècle dans les villages de la région.
MORIN
Au fil des années 1600 apparait à Compains une lignée de notaires royaux et d’agents seigneuriaux, les Morin. Durant près de deux siècles, ils occuperont l’office notarial de père en fils ou d’oncle à neveu. Des membres de la famille occuperont simultanément des postes d’agents seigneuriaux de tous niveaux. En 1678, Jean Morin notaire est dit “notaire royal, bailli du Giorand, châtelain dudit lieu d’Escouailloux et lieutenant au baillage d’Entraygues et mandement de Compains et Brion, résidant audit Compains”. Pendant plusieurs générations, des Morin vont verrouiller les postes clés et en connaître de tous les secrets du village, une omniprésence évidemment porteuse d’inconvénients dans une communauté villageoise presque totalement marquée par l’illettrisme.
La propre famille de Pierre Morin, notaire royal cherchait à échapper à son emprise. On avait marié en 1707 Louise de Laizer, fille cadette d’un puîné des Laizer, à Jean Morin, lieutenant de la justice de Compains. Malade, celui-ci dicta son testament en juillet 1711 en présence du curé, de son vicaire et de plusieurs témoins. Le mourant prit soin d’exprimer ses dernières volontés au curé, en l’absence de son frère Pierre Morin notaire royal, “n’y ayant point alors dans le lieu Pierre Morin son frère”. Sans être en butte à des contestations familiales, Jean Morin voulait léguer à l’Eglise une maison, grange, étable et jardin dont la vente financerait les réparations à effectuer à l’église Saint-Georges. Le testament fut prestement envoyé à Besse chez le notaire Admirat. La manœuvre qui avait réussi une première fois fut reproduite à l’identique un an plus tard peu avant la mort de Louise de Laizer. Ainsi furent faits les travaux à l’église et redoré le tabernacle de l’autel. Ce même Pierre Morin (1675-1750) notaire royal et greffier en 1722 est qualifié “homme rempli de malice et de chicane” par des paysans d’Escouailloux dont il veut rompre abusivement la rente perpétuelle.
ARSAC
A Escouailloux, hameau voisin du bourg de Compains, la grande terre de La Gardette relève des Saint-Nectaire qui l’ont affermée à Jean Arsac, notaire à Saint-Alyre-ès-Montagne. Victimes de mauvaises récoltes, les Maubert, paysans de La Gardette, n’ont pu payer le cens dû à Saint-Nectaire entre 1663 et 1666. En 1671 Arsac les fait assigner, saisit 80 chars de foin dans leur étable et fait emprisonner l’un d’eux. Soupçonné d’avoir détourné une partie des cens dus au seigneur, Arsac finira par accepter un compromis avec les paysans.
Il est peut douteux que les notaires pratiquaient un “abus de connaissance” qui les plaçait dans une position favorable pour réaliser des opérations juteuses. Nous y reviendrons ultérieurement.
AUTRES EMPLOYÉS DU SEIGNEUR
L’ “agent d’affaires”
Jean Ier de Laizer avait sur place un “agent d’affaires”, Anthoine Peyronnet, qualifié aussi parfois “agent et domestique”. Il réside au hameau de Groslier, un des villages de la paroisse de Compains. Mort à Clermont en 1674, il y sera inhumé dans l’église Saint-Genès.
Ligier Morin, prêtre, tuteur du seigneur et agent d’affaires
En 1734, Ligier Morin devient tuteur honoraire de Jean-Charles, enfant posthume de Jean-Baptiste de Laizer comte de Brion et de Louise de Miremont. Après la mort de Jean-Baptiste, c’est Ligier Morin qui, pour le compte de la comtesse, renouvelle les baux et acense à de multiples des parcelles de la seigneurie de Brion. Sans doute son action inaugura-t-elle une relation plus apaisée avec les compainteyres.
Le “fermier”
Le seigneur, quand il ne veut pas administrer lui-même ses biens propres ni lever les dîmes, les “afferme” à un ou des “fermiers” parfois extérieurs au village. François-Gaspard de Montmorin Saint-Hérem avait affermé Brion à Jean de Lubé qui travaillera quelques années encore pour Jean Ier de Laizer. Les “fermiers” peuvent à leur tour sous-traiter des parcelles à des paysans. Leurs agissements à Compains nous sont mal connus pour l’instant mais on a déjà vu que leur marge d’action leur permet, si besoin est en période de jointure, de prêter aux paysans des grains qu’ils se font restituer ultérieurement après une bonne récolte.
On citera enfin quelques agents de moindre importance : un concierge à Brion qui garde une cave “où on ameuble les denrées”, sans doute un lieu de stockage du foin et des fromages situé dans les vestiges de l’ancien château. Au bourg, un couple de paysans veille sur l’habitation que le seigneur utilise quand il fait halte à Compains.
Bonne ou mauvaise gestion de la seigneurie ?
Approcher la réalité de l’action des agents seigneuriaux durant les 130 ans durant lesquels les Laizer tinrent la seigneurie de Brion est difficile. Au vu des rares plaintes retrouvées pour le moment à l’encontre des agents seigneuriaux, le sentiment qui prédomine incite à penser que la seigneurie de Brion, Compains et Chaumiane a pu, globalement, être gérée correctement. Il n’apparait pas d’abus scandaleux dont on peut penser, compte tenu du caractère des habitants, qu’il aurait été dénoncé haut et fort. On ne peut non plus ni dénigrer, ni affirmer la valeur de la justice seigneuriale avec les données insuffisantes dont nous disposons. Il en sera peut-être tout autrement sur les notaires Morin sur lesquels nous reviendrons ultérieurement.
A SUIVRE
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