– Moulins et meuniers
Moulins et meuniers à Compains du Moyen Âge au XIXe siècle
Le moulin des montagnes
Le paysan de Compains n’était pas qu’éleveur. Vivant en semi-autarcie, il semait et récoltait les céréales et les légumes indispensables à son alimentation. S’y ajoutaient des cultures très répandues au sud des Monts Dore, le chanvre et le lin dont on tirait de l’huile et des fibres textiles qui fournissaient les tissus rustiques indispensables à la vie quotidienne. En Auvergne, ces produits furent de tous temps transformés dans des moulins mus par la force hydraulique. Selon d’Ormesson, intendant d’Auvergne en 1697, il n’y a pas un moulin à vent [en Auvergne] quoy qu’on ait tenté d’en établir, parce qu’un moment après qu’un vent s’est déclaré, il est contrarié par un autre qui non seulement arreste l’effet du premier, mais aussy qui rompt les tournans et abat les moulins [Tournant : aile d’un moulin à vent, mais aussi roue d’un moulin à eau].
Compains, le bourg – Ruines d’un moulin au bord de la Couze
Les conditions d’exploitation des moulins de Compains étaient difficiles. Bien qu’omniprésente, l’eau n’y est ni abondante, ni d’un débit régulier, ce qui la rend peu apte à répondre aux besoins permanents des habitants. Proches de leur source, donc peu fournis, rendus intermittents par un climat difficile, les deux principaux cours d’eau à Compains, la Couze née près d’Escouailloux et la Gazelle qui descend du Montcineyre en cascadant dans une gorge, sont plus proches du ruisseau que de la rivière. En outre, la Gazelle affluent de la Couze, ne s’y jette qu’après sa sortie du territoire communal et n’alimente donc pas le débit de la Couze à Compains.
Quand prit fin le petit âge glaciaire – vers le milieu du XIXe siècle selon les historiens du climat – on peut penser que le débit des cours d’eau à Compains était plus important qu’aujourd’hui. Pourtant, le débit des cours d’eau rendait le plus souvent l’exploitation des moulins saisonnière, donc peu rentable. La force motrice de la Couze, de la Gazelle ou même du petit ruisseau des Règes – dit aussi ruisseau de Brion – ne faisait tourner les meules l’été qu’à condition que ne sévisse pas la sécheresse. L’hiver, les cours d’eau encombrés par les glaces et la neige paralysaient les moulins et les contraignaient à chômer, souvent durant plusieurs mois.
Peu rentables, la plupart des moulins des montagnes auvergnates sont donc de petits moulins à eau dont la technique reste le plus souvent sommaire. Qu’ils soient dits fariniers, bladiers, à chanvre ou à huile pour ceux qui transforment le chènevis, les moulins étaient de petites structures rudimentaires qui employaient soit une roue extérieure à aubes, soit le plus souvent une roue horizontale – un tournant – qui n’entrainait qu’une à deux meules. Pour les protéger des rigueurs du climat, les roues étaient installées à l’intérieur du moulin et posées à plat plutôt que verticalement pour limiter les risques d’interruption consécutifs aux intempéries.
Moulin médiéval
Ce type d’installation légère rendait le moulin capable de s’adapter aux lieux les plus difficiles. Pour amener l’eau, on pratiquait une pélière rudimentaire [un barrage artificiel] qui détournait une partie des eaux pour alimenter le moulin et on empoissonnait la retenue d’eau artificielle ainsi obtenue. Jusqu’à la Révolution, le seigneur y exerçait un droit de pêche.
Des responsabilités d’intérêt général qui relèveraient aujourd’hui des pouvoirs publics incombaient au seigneur dans sa châtellenie. Le coût élevé de construction et d’entretien des moulins ne pouvait être assumé que par l’investissement seigneurial. Propriétaire des voies d’eau non navigables qui traversaient ses terres, le seigneur y installa des moulins banaux dès le Moyen Âge sous l’oeil immémorial et vigilant de la Coutume d’Auvergne qui veillait à ce que le haut justicier ne puisse prélever qu’une quantité d’eau raisonnable pour ne pas nuire aux autres habitants du lieu. Sous réserve que ce droit puisse être prouvé par d’anciens titres, le monopole seigneurial obligeait les sujets du seigneur à utiliser les moulins seigneuriaux pour traiter leurs productions agricoles. Pour ce service, le seigneur exigeait le paiement d’une taxe.
Le meunier disposait d’un temps limité – 24 heures par exemple aux Martres de Veyre – pour moudre les produits à traiter au moulin. Chacun repartait avec sa farine après avoir laissé un pourcentage au meunier à qui incombait le petit entretien courant du moulin. Quand les conditions climatiques obligeaient le moulin à chômer, après trois jours on pouvait se rendre à un autre moulin.
Les moulins au temps des Bréon
Notre quête des moulins des Bréon nous entraine sur un territoire intercommunal puisque les limites des seigneuries n’étaient en rien calquées sur les limites des communes. Les seigneuries des Bréon comme leurs principaux fiefs s’étendaient notamment de Compains à Gliseneuve [Egliseneuve], Condat et Mardogne au bord de l’Alagnon.
A Compains, la Couze, la Gazelle, le ruisseau des Règes et le ruisseau dit l’Eau derrière qui bornait la seigneurie à l’est formaient l’essentiel des cours d’eau. S’y ajoutaient des ruisselets de moindre importance le long desquels on découvre cependant des moulins, le ruisseau de la Fage et celui de Chandelières, notamment. On a vu qu’il fallait se contenter de peu d’eau durant une période de fonctionnement étroite qui rendait les moulins peu productifs. Ces difficultés d’exploitation propres aux montagnes ne pouvaient qu’inciter les Bréon à limiter l’importance de leurs investissements à Compains. Pourtant, le réseau hydrographique de la commune fit l’objet d’aménagements hydrauliques dès le Moyen Âge.
Près des terres des Bréon à Mardogne
Moulin de Chambeuil (Laveissière, Cantal)
Quand on avait procédé en 1280 au partage de l’héritage de Maurin de Bréon entre ses filles, Marguerite de Bréon épouse de Richard de Chaslus avait hérité des basses terres d’Entraigues, du ruisseau de Grafaudeix à celui de Loubino. Dauphine, sa soeur aînée, épouse d’Itier de Bréon nouveau seigneur haut justicier de Compains avait reçu les hautes terres d’Entraigues où se tenaient les villages de Graffaudeix, Espinat et Redondel. Restés dépendants de la seigneurie de Brion, les habitants de ces trois villages ne pouvaient plus moudre au moulin banal d’Entraigues qui relevait dorénavant de Richard de Chaslus devenu seigneur d’Entraigues grâce à l’héritage de sa femme.
Pour desservir cette partie excentrée de la seigneurie de Brion, on raconte que fut construit vers cette époque à Compains, un nouveau moulin, dit moulin de la Fage, situé sur le ruisseau qui descend du lac du même nom. La toponymie révèle la trace de ce moulin près du lieu dit les Moudeyres [en patois, les meuniers]. Le moulin de la Fage était – semble t-il – un moulin sans meunier, mais non sans chicanes. Commun aux habitants d’Espinat et des Moudeyres, le moulin devint un sujet de discorde entre les deux communautés villageoises situées de part et d’autre du ruisseau de la Fage. Des rixes éclataient entre les habitants qui s’accusaient de gaspiller l’eau, de jeter des pierres dans le bief et, pire encore, de venir moudre à la chandelle.
Sur les terres des Bréon situées à Entraigues et Egliseneuve , le débit des eaux réunies du ruisseau d’Entraigues, du ruisseau de Clamousse et des ruisselets affluents qui se rejoignaient pour former la Rhue, rendait plus efficiente l’exploitation des moulins. A la Chau, près du château d’Entraigues, on trouvait un moulin seigneurial, molendum del chau, qui fit partie des biens saisis en 1349 sur Maurin de Bréon qui tenait dans plusieurs autres villages de la région des fiefs pour lesquels ses vassaux lui rendaient hommage.
Signe visible du pouvoir du seigneur, le moulin pouvait aussi devenir la cible d’une vengeance seigneuriale. Alors qu’en 1328 le seigneur de Saint-Nectaire a fait abattre à plusieurs reprises les fourches patibulaires de Maurin de Bréon, ses gens veulent venger leur seigneur et montent une expédition punitive. Ils attaquent nuitamment le moulin de Saint-Nectaire [peut-être le moulin de Marsol ou celui de Sparanat qui furent du cens du seigneur de Saint-Nectaire du Moyen Âge et à l’époque moderne], brisent les meules et volent des outils. Cette attaque contre un symbole du pouvoir seigneurial ne faisait que répondre à la démolition du gibet de Maurin qui dut cependant obtenir une lettre de rémission qui signa son pardon.
Ce même Maurin de Bréon en 1349 donne à son baile Etienne de la Sala, gouverneur de la seigneurie de Brion, l’autorisation de moudre ses bleds [du seigle, de l’avoine et de l’orge puisqu’à Compains on ne pouvait cultiver de froment] au moulin seigneurial : liceat molere blada sua…in molendinus…dominus de Breone.
La cascade d’Entraigues, com. Egliseneuve d’Entraigues
A Mardogne, la variabilité du débit de l’Alagnon qu’on pouvait parfois traverser à gué de pierre en pierre posait les mêmes problèmes d’exploitation que les ruisseaux de Compains. Des moulins apparaissent sur les terres des Bréon à Joursac sur l’Alagnon (Le Vernet), au moulin de Roche et à Sainte Anastasie.
Le Vernet (com. Joursac, Cantal), meule dormante et meule tournante (Arch. dép. Cantal, cliché A. Vinatié, janv. 1979)
Les moulins à l’époque moderne (XVIe -XVIIIe s.)
Reflet de l’habitat dispersé des montagnes, les moulins se répartissaient dans les différents villages de la commune de Compains. Inégalement rémunératrice pour les meuniers, la meunerie était souvent complétée par une activité agricole, le tissage ou pour certains, par l’affermage [la prise à bail] de la récupération des dîmes seigneuriales. Ainsi le meunier Jean Admirat en 1699 affermait-il pour quatre ans à Jean de Laizer seigneur de Brion la dîme de Belleguette pour un montant de 73 livres, en prélevant au passage son pourcentage.
Des moulins seigneuriaux à Compains, Chaumiane et Brion,
Le terrier de 1672 place des moulins banaux à Brion, Compains et Chaumiane, les trois principaux villages de la seigneurie. Au bourg de Compains, Michel Sabatier et Jean Chabaud tenaient solidairement le moulin farinier seigneurial. En contrepartie, ils devaient à Jean de Laizer, comte de Brion, un cens de cinq septiers de bled seigle “mesure brionnaise”, payable à la Saint-Julien.
Marquant une évolution déjà constatée par ailleurs, en 1750 Pierre Sabatier et Jean Bergier, descendant et successeur des précédents, ne peuvent plus payer le cens en nature mais doivent payer en argent. A la place du seigle, ils porteront chaque année au comte de Brion 60 livres, somme à laquelle “s’est restreint” le seigneur qui recevra l’argent à la Saint-Julien, terme de paiement traditionnel dans les montagnes.
A Brion on trouvait au moins deux moulins comme l’indique une sentence arbitrale de 1673 qui autorise Jean de Laizer à se réserver “son passage dans les communs et montagnes de Brion, au dessous des moulins dudit Brion et le long du ruisseau apelé l’écluse pour passer et repasser ses bestiaux en tous tems, a son plaisir et volonté”.
Sous Louis XIV, l’essor de l’activité meunière était encore bien verrouillé par la noblesse. Un arrêt du Conseil royal portant règlement général pour tous les moulins banaux de France, stipulait en 1673 qu’il n’était pas permis de créer un moulin dans sa propriété sans la permission du seigneur lorsqu’il existait des moulins banaux.
Le long de la Couze de Compains
Pour exercer la meunerie, certains démultipliaient leurs moyens en pratiquant l’association familiale. Au bourg, deux soeurs, Dauphine et Charlotte Morin de Compains et leurs époux Michel Sabatier et Jean Chabaud, dit l’amoureux, originaires de Picherande, s’associent en 1661. Leur projet est de rénover et d’exploiter le moulin de Compains devenu vétuste et desmoulict, ce qui semble indiquer qu’à cette date les compainteyres faisaient moudre leurs grains ailleurs qu’au bourg. Les deux couples vivront en communauté, habiteront et travailleront ensemble à la rénovation du moulin et achèteront deux meules au sieur de la Ribeyre pour un montant de 55 livres. La présence de deux meules permet de penser que l’un des tournants était à farine et que l’autre était à huile, transformant le chènevis. L’association s’élargit en 1678 quand le frère de Dauphine, Ligier Morin, renonçe à la succession de ses père et mère au profit de sa soeur. En contrepartie, il “pourra moudre dans le moulin de Compeins appartenant a ladite soeur tous les grains qu’il consommera dans sa maison pendant sa vie […] sans payer aucun droit de mouture pour raison des grains qu’il consommera et si par contre il fait valoir une métairie il paiera a proportion […] le droit de moudre au dire d’expert. Sera tenu néanmoins ledit Ligier Morin de payer la somme de trois livres toutefois qu’il faudra acheter des meules pour ledit moulin”. On voit donc que cette association familiale ne s’étendait qu’aux besoins personnels du frère, excluant son activité professionnelle.
Pont réputé gallo-romain sur la Couze près de la D. 26 qui relie Valbeleix aux gorges de Courgoul
Le Moulin de Péraud, peu après le village de Belleguette, bénéficiait d’un bief important pratiqué sur la Couze. Jean Admirat, dit Péraud, vint sans doute y épouser la fille du meunier Péraud. En 1710 Jean Admirat y était toujours meunier.
Le Moulin de Barbat est situé plus à l’écart, en limite nord de la commune de Compains, près de la commune de Valbeleix et non loin du Verdier où la Couze est rejointe par la Gazelle. A l’instar du Moulin de Péraud, il est resté exploité sous le nom de Barbat depuis au moins le XVIIe siècle.
Comme sur les noms des villages restés invariés depuis le Moyen Âge, la tradition des montagnes pèse sur le nom des moulins : Péraud comme Barbat, premiers (?) occupants de ces moulins y imprimèrent leur nom il y a quatre siècles sans concevoir qu’il y perdurerait jusqu’à nos jours [carte I.G.N. Monts du Cézallier, 2534 OT).
Sur les anciennes terres des Bréon
Les habitants de Graffaudeix, un des villages situés au sud-ouest de Compains, étaient attirés vers la commune d’Egliseneuve rendue par le relief plus facile d’accès que le bourg de Compains auquel ils étaient administrativement rattachés. Sur ces terres autrefois tenues par les Bréon, le terrier de la seigneurie d’Entraigues (XVIe siècle), montre que les habitants de Graffaudeix étaient abonnés de mouldre a raison de trois coupes par septier au moulin banal de Claude d’Urfé, seigneur d’Entraigues et bailli du Forez.
L’interdiction de créer un moulin dans sa propriété sans la permission du seigneur lorsqu’il existait dans la contrée des moulins banaux s’estompe au XVIe siècle. Le terrier d’Entraigues fait apparaitre à cette époque plusieurs moulins le long de la Rhue. Ils appartiennent à de petits notables d’Egliseneuve, marchands ou notaires qui renforcent leur emprise sur l’économie locale et commencent à acquérir ou à exploiter en indivision des moulins qui ajoutent quelques à côtés à leurs revenus. Le notaire du marquisat d’Entraigues, Antoine Vidal, ne possédait pas moins de trois moulins sur la rivière de Gliseneuve. L’un était farinier, l’autre a habiller les draps, le troisième était à chanvre. Jacques Bohadon, un marchand, possédait indivis avec son fils un moulin à bled et à seigle.
Comme ceux de Graffaudeix, les habitants du hameau de l’Espinasouze supportaient mal leur éloignement du moulin d’Entraigues. Pour éviter de parcourir les six kilomètres qui les séparaient du moulin d’Egliseneuve, ils adressèrent une supplique à maistre Louis Delèze, “chatelain d’Urfé y ayant la conduite de la seigneurie d’Entraigues” [c’est à dire bailli de Claude d’Urfé et son représentant sur place]. Ils demandaient que soit construit un nouveau moulin sur la montagne d’Espinassouze et se déclaraient prêts à payer “douze cartons [unité de mesure] de seigle, mesure du grenier d’Entraigues”.
Les petites seigneuries elles aussi se devaient d’avoir leur moulin : à l’ouest d’Egliseneuve, un moulin bladier s’élevait au lieu nommé La Garde, dans la seigneurie du Bladre.
La Révolution
Avant la Révolution, le moulin du bourg de Compains était assujetti à une rente de 60 livres payée annuellement au seigneur par le meunier. Devenus biens nationaux, les moulins seigneuriaux tombent dans l’escarcelle de la République et sont rachetés ou loués à des particuliers. A partir du 15 mars 1790, la loi donne au propriétaire le droit d’établir dans sa propriété et sur sa portion de rivière autant de moulins à eau ou à vent qu’il voudra. Mais installer un moulin représentait un investissement onéreux et la nouvelle loi ne fit pas exploser immédiatement le nombre des usines [moulins]. Il fallut attendre 1830 pour voir le nombre des moulins passer de cinq à neuf.
Au bourg, l’ancien moulin banal “provenu de l’émigré Laizer”, fut loué le 2 octobre 1794 à ses anciens cotenanciers, François Laporte et Géraud Sabatier, associés pour exploiter le moulin moyennant une rente annuelle de 60 francs.
L’enquête de 1793
Cinq moulins à eau sont mentionnés sur le territoire communal lors d’une enquête en 1793. Les quatre moulins qui fonctionnent sur la Couze n’ont qu’un seul tournant et un béal. Situé à Marsol, le cinquième moulin appartient aux habitants du hameau qui partagent les frais de fonctionnement.
Décrits par les consuls de Compains comme étant situés “loin de toute grande route”, les moulins de Compains étaient handicapés par la froidure hivernale et le débit intermittent des cours d’eau l’été. Chaque année, une dizaine de journées de travail devaient être consacrées à l’entretien du béal et au brisement des glaces car on ne pouvait moudre que pendant huit mois de l’année, à raison d’un septier de grains par heure (septier : unité de mesure qui pouvait varier suivant les villages et valait environ 100 kg.). En période de basses eaux, ce n’était plus une heure mais quatre qui étaient nécessaires pour moudre cette même quantité de grains.
Chaque particulier conduisait lui-même ses grains au moulins, en rapportait les farines et fournissait la lumière s’il fallait moudre la nuit. La production évaluée par les élus était de douze quintaux de belle farine par jour bien que “la sécheresse qui survient très souvent en été et empeche le travail des moulins et en hiver les glaces suspendent leur travail. La sécheresse conduisait le meunier à aller plus loin pour rassembler et chercher des eaux et elles diminuent quelques fois au point que les moulins ne peuvent plus moudre”.
Moutons au bord de la Gazelle
Le matériel était onéreux. Le meunier achetait sa meule, un achat dispendieux, estimé à 120 livres par les élus. L’amortissement se faisait en une quinzaine d’années, parfois même plus longtemps. Au dire des élus locaux, depuis quatre ans, c’est à dire depuis le début de la Révolution, la main d’œuvre était devenue plus rare, donc plus chère. Le meunier devait de ce fait payer une livre 12 sols la journée de travail d’un manouvrier alors que moudre un septier lui rapportait huit livres.
Tous se méfiaient de la propension des meuniers à distraire à leur profit des grains de leurs clients. Pour “concilier les intérêts du meunier avec ceux du peuple” et limiter les abus, les administrateurs révolutionnaires chargent les officiers municipaux de faire exécuter la défense faite aux meuniers de percevoir le droit de mouture en nature et de faire le commerce des grains. Le prix du transport et celui du droit de mouture sont réglementés. Les meuniers qui refuseront que le prix de leur mouture leur soit payé en monnaie courante devront être condamnés à 1000 livres d’amende au profit de la République.
Les moulins de Brion
Symboles visibles de l’ancien pouvoir seigneurial, les moulins de Brion disparaissent définitivement à la révolution. On ne les retrouve plus sur le cadastre de 1828 et pas davantage dans les recensements qui s’échelonnent au fil du XIXe siècle. Les brionnais vont dorénavant moudre au Moulin de Péraud ou au Moulin de Barbat, plus proches de Brion que le moulin de Compains.
Au XIXe siècle
Les moulins de la Couze
Passée la Révolution, c’est maintenant aux seuls particuliers que revient la création de moulins. Sur le cadastre de 1828, six moulins se succèdent entre les sources de la Couze et le Moulin de Barbat. Deux de ces moulins sont exploités au bourg : le premier appartient à Antoine Boyer, un compainteyre cultivateur surnommé l’héritier après que plusieurs héritages familiaux se soient concentrés sur sa femme et lui. Ajoutant à l’activité meunière un important ensemble de propriétés, il était imposé dans le rôle des patentes de la commune de Compains en 1854 en qualité d’exploitant de moulin au bourg de Compains. Il légua en 1854 à son fils aîné la moitié de ce moulin couvert à tuiles et un pré de quinze ares nommé la levade muni d’un petit béal conduisant l’eau au moulin. Le second moulin du bourg était partagé entre deux propriétaires.
Compains – Moulin sur la Couze (carte postale, éd. Périère)
Selon les Anciens du village, le moulin visible ci-contre était un moulin à scie.
Dans les recensements du XIXe siècle, les moulins de Péraud et de Barbat comptaient au nombre des hameaux de la commune.
Le Moulin de Péraud
Situé dans le bois du Sillot, le Moulin de Péraud fut, suivant les moments, habité par deux ou trois familles. On y trouvait la famille élargie de Jean Verdier, “propriétaire-cultivateur, chef de ménage”, avec parfois un domestique. Meunier de 40 ans, Jean Verdier exploitait le moulin avec sa famille en 1836. Sa veuve, Françoise Loubinoux, y devint à son tour meunière durant des décennies. Dite chef de ménage et cultivatrice elle poursuivit l’exploitation du moulin avec ses enfants. Ses fils Pierre et Jean Verdier poursuivirent leur activité au moins jusqu’en 1886, année où le hameau du moulin comptait trois ménages et trois maisons et qui abritaient jusqu’à une quinzaine de personnes. De 1891 à 1911, les habitants du moulin ne sont plus dits meuniers, mais cultivateurs ou propriétaires exploitants.
Compains – Moulin de Péraud
(Arch. P. de D., cadastre de 1828)
Jean Morin, domicilié au Moulin de Péraud en 1878 franchissait la Couze sur un petit pont de bois qui lui permettait d’accéder au chemin qui, sur la rive droite de la rivière, conduisait à Belleguette et Compains. La rupture du pont en 1878 gênait les déplacements de Jean Morin qui, pour sa reconstruction, demanda l’autorisation de couper douze hêtres dans le bois du Sillot. Après trois réclamations – et sept ans plus tard – il reçut un avis favorable de l’administration des forêts “car aucune exploitation n’a été faite de ce bois depuis sa soumission au régime forestier qui remonte au 1er septembre 1829″. Le pont fut donc finalement rétabli, mais en 1885.
Le Moulin de Barbat
Compains – Moulin de Barbat
(A.D. P. de D., cadastre 1828)
En 1836, Antoine Chassard, né au Valbeleix et âgé de 28 ans était meunier au moulin de Barbat avec sa jeune femme Françoise Coudert et bientôt leurs trois enfants. Devenu veuf et âgé de 70 ans, Antoine y exerçait toujours en 1876. Le moulin avait été acheté vers 1870 et conservé au moins jusqu’en 1880 par Antoine et Jean Dumergue. Le moulin resta inhabité entre 1881 et 1886. En 1891 il était dit Moulin de Chassard. A ce moment, il était habité par François Vaudable, un charbonnier de 28 ans né à Brousse qui vivait au moulin avec sa fille et son épouse, Marguerite Crégut, née à Saint-Floret. Le recensement consultable aux Archives départementales du Puy-de-Dôme les signale toujours dans ce moulin en 1911.
Après les Chassard, le moulin reprit son nom de Moulin de Barbat [carte I.G.N. 2534 OT]. Pris au début du siècle, un cliché du Moulin de Barbat (ci-dessous), montre des bâtiments en bon état. A l’arrière-plan, derrière le personnage vêtu de noir, on peut apercevoir la roue de ce moulin hydraulique, à droite de la roue du char.
Compains – Moulin de Barbat
(Archives de la famille Poret)
A Escouailloux, Antoine Eschavidre demande en 1873 l’autorisation d’établir dans sa propriété un moulin à farine mu par un moteur hydraulique qui fonctionnerait avec les eaux dérivées de la haute Couze. En aval du moulin projeté par Eschavidre, on trouvait sur le cadastre de 1828 un moulin farinier beaucoup plus ancien qui appartenait en 1882 à Antoine Chabrut et François Geneix d’Escouailloux. Ce moulin “a forme de pavillon comportait deux tournants avec bluterie”.
Compains – Escouailloux
Vestiges du moulin farinier de François Geneix
La propriété de François Geneix, (14 ha), constituée des terroirs de Travais, Escouailloux, La Visade, Le Clozet et son moulin pour partie couvert “à tuiles basaltiques”, pour partie “couvert à paille”, fut saisie en 1883 et vendue l’année suivante.
Les moulins de la Gazelle
Des sources officielles estiment au début du XXe siècle que le débit du ruisseau de la Gazelle n’atteint que le tiers de celui de la Couze. Descendu du Montcineyre, le ruisseau cascade dans une gorge et traverse des prés irrigués par des razes. Des prises d’eau appelées levées y étaient pratiquées au moyen de fossés dans lesquels l’eau était dirigée par un barrage artificiel qui permettait d’acheminer l’eau dans les razes d’irrigation des prés. Là où la Gazelle était utilisée pour alimenter des moulins, la cohabitation entre cultivateurs et propriétaire de moulin pouvait se révéler conflictuelle, même quand, pour celui-ci, la meunerie ne représentait qu’une activité d’appoint.
Conflit à Olpilière
Plusieurs cultivateurs avaient organisé l’irrigation du pré d’Olpilière situé le long de la Gazelle. Ils avaient établi “un très faible barrage”, complété de razes d’irrigation, tranchées et prises d’eau. Après des années où l’eau avait été paisiblement partagée entre Jean Tartière propriétaire du moulin et les exploitants du pré d’Olpiliaire, une guerre picrocholine s’était installée entre les cultivateurs et Jean Tartière, maire de Compains et fils du précédent. Tartière avait construit en aval du pré d’Olpilière un moulin contraint de chômer quand l’eau partait en amont dans les razes du pré. Selon lui, la prise d’eau ne respectait pas le code Napoléon qui stipule que “celui dont l’eau traverse l’héritage peut en user dans l’intervalle qu’elle y parcourt, mais à la charge de la rendre à la sortie à son cours ordinaire”. Selon le maire, les cultivateurs ne rendaient pas l’eau reçue et condamnaient son moulin à l’inactivité. En 1865, un expert venu d’Issoire examina les lieux du contentieux pour déterminer si les “irrigueurs” outrepassaient leurs droits. Ayant écouté les argumentations des parties et les témoins, sa conclusion resta fondée sur l’exploitation immémoriale des prés dans les montagnes : le ruisseau n’était pas une dépendance du moulin et les exploitants n’avaient fait qu’user de leurs droits ancestraux tout en respectant le code. Jean Tartière fut débouté.
Compains – Petit pont sur la Gazelle
Le Moulinoux
Construit sur la Gazelle près d’une fontaine minérale au nord du bourg près des Costes, le Moulin de Chabaud dit aussi Moulinoux était indivis entre treize compainteyres. Doté d’un seul tournant et couvert à tuiles, le moulin inspira le nom du chemin voisin dit du suquet du moulin [suc : sommet].
Indivise entre treize compainteyres communistes (copropriétaires), la jouissance du moulin finit par devenir impossible en 1877 par suite du mauvais vouloir de certains ayant-droit qui refusaient d’y faire les réparations nécessaires.
A la demande de Jacques Morin et en dépit de l’opposition des douze autres, le tribunal ordonna le 7 août 1877 la mise en vente du moulin qui fut vendu par licitation et mis à prix 300 francs. La vente à la bougie se déroula le 4 octobre 1878 et le moulin fut finalement vendu 1981 francs à deux acheteurs colicitants de Compains, Jean Tartière dit Tombe le loup aubergiste et Antoine Morin-Geneix, propriétaire cultivateur à Compains.
A Chandelière, un moulin – semble t-il éphémère – fut tenu par Antoine Morin entre 1836 et 1851.
A la fin du siècle (1882) Compains comptait encore neuf moulins.
Compains – La Gazelle
Leur champ d’action pouvait faire de certains meuniers des gens parfois un peu plus à l’aise et mieux éduqués que la plupart des habitants du village. Membre de la dynastie des Sabatier qui oeuvrèrent au moulin de Compains durant tout le XVIIIe siècle, le meunier Pierre Sabatier comptait au nombre des “petits marchands et laboureurs” dans le rôle de Compains en 1760. En 1768, son fils, Sébastien Sabatier faisait partie des rares compainteyres sachant signer.
Le cas particulier des moulins de la section de Marsol
Sous L’Ancien régime, le terroir de Marsol s’étendait jusqu’au lieu dit Les Costes où se côtoyaient le seigneur de Brion Montmorin-Saint-Hérent et le seigneur de Saint-Nectaire.
L’appartenance au village illustre à Marsol l’organisation des relations entre les ruraux. Situé sur la portion de la commune de Compains qui relevait du seigneur de Saint-Nectaire, on trouvait à Marsol un moulin qui était du cens de Saint-Nectaire du fait de sa seigneurie du Valbeleix. Après moult discussions, il avait été admis que le tènement des Costes, situé à environ un kilomètre à l’ouest de Marsol, était de fait une dépendance de ce village et ne constituait pas un mas séparé. Vides d’habitants en 1702, les Costes se trouvaient soixante ans plus tard habités par la seule famille de Jean Morin qui y était fermier de François Reynaud de Marsol. Il fut alors admis que, puisque Morin possédait quelques héritages à Marsol il serait de ce fait autorisé à faire moudre au moulin commun de Marsol pendant tout le temps où il résiderait aux Costes. En contrepartie, lui et les siens seraient tenus de contribuer aux réparations nécessaires au moulin. Mais s’il venait à vendre les héritages qu’il tenait à Marsol, il serait exclu du droit de moulure.
Le moulin du hameau de Marsol était situé non loin du réservoir d’eau dit de la Bonde, d’où sortait un ruisseau. Le moulin n’était pas toujours un lieu de convivialité où chacun venait échanger les nouvelles en attendant sa mouture. Le droit de moudre au moulin de Marsol fit en 1790 l’objet d’une controverse entre les villageois. Au centre de ce conflit récurrent dans toutes les communautés paysannes, on retrouve Jean Morin qui gère un troupeau de moutons d’une centaine de bêtes. Les habitants de Marsol reprochaient à Morin de transgresser la Coutume en faisant pâturer dans les communaux plus de brebis qu’il n’en hivernait de ses foins et pailles. A titre de représailles, ils menaçaient de l’empêcher de moudre son grain au moulin du village comme on a vu qu’il en avait obtenu le droit. Bien sûr, le fautif contestait l’accusation, arguant – et il le prouvera – que ses accusateurs se livraient eux-mêmes à de multiples abus. Le procès qui s’ensuivit montra que, comme souvent, accusateurs et accusé se livraient aux mêmes transgressions de la Coutume.
Source : Archives départementales du Puy-de-Dôme
La section de Marsol comptait en 1828 deux moulins. Au nord du hameau, près du lieu dit Baladoux, on trouvait le moulin commun aux habitants du hameau. Vers l’ouest, aux Costes un second moulin appartenait à Jean Tartière et à des habitants.
Les meuniers, des filous ?
L’abbé Nicolas Ordinaire dans son ouvrage sur Le puy de Dôme au soir de la Révolution, comptait environ 1000 meuniers dans le département sous le Premier Empire. La profession meunière n’avait pas bonne réputation. Rémunérés au prorata de ce qu’ils moulaient, les meuniers furent de tous temps soupçonnés de détourner une partie de la marchandise qu’il transformaient. Les archives montrent que les modes opératoires des plus malhonnêtes qu’on parvenait à prendre la main dans le sac pouvaient être fort ingénieux.
Durant la Révolution, consciente des nombreuses filouteries commises par les meuniers au détriment de leurs clients, l’Administration révolutionnaire s’était pourtant efforcée de limiter les détournements en informant ses agents sur le terrain. Dans un courrier adressé aux citoyens juges de paix et agents municipaux ou commissaires de police du Puy-de-Dôme, le 12 thermidor an IV, le commissaire du Directoire leur donnait la consigne de visiter tous les moulins situés dans leur arrondissement pour reconnaitre si dans la construction de ces usines, il n’aurait pas été pratiqué des cachettes ou d’autres moyens à la faveur desquels les meuniers puissent détourner frauduleusement à leur profit une portion du produit des grains qu’on leur donne à moudre.
Pour étayer sa demande, le commissaire citait le cas d’un meunier qui, lors de la construction du moulin qu’il exploitait, avait pratiqué des cachettes à l’aide desquelles il détournait à son profit une portion considérable du grain qu’on lui donnait à moudre : le moulin était disposé de manière que la farine ne tombait pas toute dans l’arche destinée à la recueillir pour être délivrée au propriétaire mais qu’un dixième au moins s’échappait à la faveur d’un trou pratiqué dans la meule, correspondant à un autre trou fait dans la muraille et se rendait ainsi dans un coffre déposé dans une cave au dessous de l’usine, sans que le propriétaire présent à la mouture put s’apercevoir de la fraude ; ces trous étaient cachés par des pierres amovibles et par des planches de bois non clouées. L’homme fut condamné à quatre ans de fers et à l’exposition aux regards du peuple.
Le moulin de Sparanat
Pour mémoire, on signalera enfin le Moulin de Sparanat, en raison de sa proximité avec Compains (à environ 300 mètres après la sortie du territoire communal de Compains, sur la route de Valbeleix). Situé dans la commune de Valbeleix, ce moulin comme à Compains le moulin de Marsol, relevait des Saint-Nectaire avant la Révolution.
Valbeleix – Moulin de Sparanat (D 26)
Les moulins de Compains aujourd’hui
Les sources archivistiques sur les anciens moulins aujourd’hui disparus qui fonctionnèrent durant des siècles à Compains sont complétées par de rares traces au sol fort peu significatives, si l’on excepte le long de la Couze les moulins de Péraud et de Barbat, reconstruits et bien conservés .
Au bourg, on distingue encore près de l’ancien bief de la Couze un amoncellement de pierres laissé par le moulin d’Antoine Boyer. Les structures légères bâties près du ruisseau de la Gazelle n’ont guère laissé de traces et seule la mémoire des Anciens du village garde de nos jours le souvenir de quelques vestiges aujourd’hui encore enfouis sous la végétation comme on peut aussi le voir à Escouailloux.
Enjeu vital dans les pratiques agraires, la gestion et le partage de l’eau dans le respect théorique de la Coutume d’Auvergne n’impactait pas que les structures agricoles, elle affectait aussi les relations entre les groupes humains : on l’a vu avec l’affaire du lac des Bordes [cf : chapitre Lacs et tourbières], on le constate ici avec le moulin Chabaud, on pourrait le mettre en évidence dans bien d’autres circonstances.
Nous reviendrons ultérieurement sur ces histoires d’eau en évoquant les péripéties liées à la gestion et au partage de l’eau dans la commune.
A SUIVRE
Laisser un commentaire