Pour planter le décor
Du rêve …
Le gallo-romain Sidoine Apollinaire, évêque d’Auvergne en 471, mort à Clermont en 486 écrivait :
“Je ne dis rien du charme particulier de ce pays, je ne dis rien de cet océan de blés dans lequel
les ondes qui agitent les moissons sont signe de richesses. Les montagnes lui font une ceinture de pâturages à leur sommet, des vignobles sur leurs coteaux, des fermes aux endroits cultivables,
des châteaux sur les rochers…” (Epistulae et carmina VI, 21)
Aux dires de Sidoine Apollinaire gendre de l’éphémère empereur Avitus, l’Auvergne au Ve siècle de notre ère ressemble presque à un pays où règne l’abondance, et qui sait même, à un pays de Cocagne. Propriétaire d’une villa qu’on peut vraisemblablement situer vers Aydat, Sidoine idéalisait ainsi poétiquement les Limagnes et passait sous silence la dure vie des montagnes. Nous ne nous attarderons ni sur cette évocation du futur évêque de Clermont, ni sur ces Limagnes couvertes de moissons décrites au VIe siècle par Grégoire de Tours dans son Histoire des Francs (9,11).
à la réalité
Alors, plutôt que de rêver à ces tableaux idylliques à la vraisemblance mal établie, tournons nous vers Compains, cette vaste commune de moyenne montagne volcanique aux terres peu fertiles et au climat rugueux où, loin de toute poésie, l’habitant reçoit de plein fouet les intempéries océaniques. C’est là que, depuis ces temps anciens, nous voyons les compainteyres survivre difficilement in montana, luttant jour après jour pour résister à une nature peu hospitalière que trahissent des noms de lieux qui en disent long sur la rudesse du pays : Espinas, Chaumiane, Barbesèche, Escouailloux, Graffaudeix (le houx), La Ronzière, Les Chirouzes (pierres), Malsagne…
Sans doute Legrand d’Aussy – auteur au XVIIIe siècle du Voyage dans la Haute et Basse Auvergne – était-il plus proche de la dure réalité que ses lointains prédécesseurs quand il écrivait : “il n’y a que la crainte de l’esclavage et l’insatiable besoin de liberté qui, primitivement, aient pu conduire des hommes dans une contrée pareille”.
Où faire passer la limite entre Monts Dore et Cézalier ?
La nature des laves comme la direction de leur écoulement fait passer la limite entre les massifs des Monts Dore et du Cézalier “légèrement au sud de la localité de Besse. Puis on la retrouve au contact des coulées méridionales du Puy de Montchal. Enfin, elle suit la haute vallée de la Clamouze qu’elle quitte en aval pour aboutir légèrement à l’ouest d’Egliseneuve d’Entraigues” [B.R.G.M., Thonat (A.) et alii, Carte géologique de la France 1/50 000 – Notice explicative de la feuille de Massiac, p. 13].
Un territoire communal étendu…
à l’interface de quatre régions,
Située sur le versant septentrional du Cézalier Compains par sa situation à l’interface de quatre régions touche vers l’ouest à l’Artense granitique et au nord aux volcans des Monts Dore. A l’est, c’est le pays coupé, entaillé par les Couzes qui s’enfoncent dans le socle rocheux pour descendre vers le bassin de l’Allier. Au sud enfin apparait le Cézalier, massif volcanique qui relie les Monts Dore au massif du Cantal. Par sa superficie, plus de 50 km2, la commune figure parmi les plus grandes communes de France.
Les Archives départementales du Puy-de-Dôme (A.D.P.D.), ont mis en ligne les cartes des sections du cadastre dit “napoléonien” établi pour Compains en 1828. Resté valable jusqu’à sa rénovation réalisée au XXe siècle, ce cadastre constitue une source de connaissance précieuse et d’un grand intérêt historique.
La représentation ci-dessous est l’assemblage par nos soins des 11 feuilles qui représentent les six sections du village. Pour déchiffrer plus aisément les détails des sections de ce plan, rendez vous sur le site des Archives départementales du Puy-de-Dôme www.archives départementales.puydedome.fr, rubrique cadastre napoléonien.
Compains d’après le cadastre “napoléonien” (1828)
Tableau d’assemblage du plan cadastral parcellaire de la commune de Compains,
terminé sur le terrain le 13 octobre 1828, (Source : Archives départementales du Puy-de-Dôme).
divisé entre deux bassins versants,
L’unité hydrographique du terroir de Compains n’est qu’apparente : une ligne de partage des eaux traverse le finage communal suivant une diagonale nord-ouest – sud-est qui définit deux bassins versants parcourus par plusieurs ruisseaux.
Relevant du bassin versant de l’Allier, on trouve deux ruisseaux principaux : la Couze née au sud du bourg de Compains et le ruisseau de la Gazelle, petit torrent descendu du Puy de Montchal et enrichi par des émanations venues du lac de Bourdouze. Tous deux confluent au lieu dit Le Verdier pour former la Couze de Valbeleix, affluent de la Couze Pavin sur sa rive droite. Au sud-est, la Motte de Brion surplombe un ruisseau curieusement nommé L’eau derrière qui marque la séparation avec la commune de Saint-Alyre-ès-Montagne.
Ligne de partage des eaux à Compains (Cassini n°53)
Relevant du bassin versant de la Dordogne, au sud-ouest, plusieurs ruisseaux (Clamouze, Groleix, Entraigues) descendent vers le point de convergence de la terre d’Entraigues avant de former la Rhue.
fortement marqué par le volcanisme,
Le cadre naturel montueux et contrasté de la commune de Compains est caractérisé par la présence d’une dizaine de volcans principaux dont les altitudes s’étagent entre 1191 mètre (Puy Montcey) et 1351 mètres (Puy de la Vaisse).
Dans la vallée de la Couze, le bourg de Compains s’abrite au pied du Puy Montcey. Constitué, comme le Puy-de-Dôme, d’une lave visqueuse qui ne s’étale pas, le Puy Montcey, seul volcan de type peléen de la commune, est formé d’une phonolite très particulière.
Très répandue dans le Massif Central, la phonolite est une roche volcanique aux propriétés acoustiques singulières. De couleur grise, elle peut se présenter sous forme d’orgues et se débite ordinairement en lauzes. Au Puy Moncey, en bordure septentrionale de l’entablement basaltique du Cézalier, c’est un gisement très rare de phonolite qui a été reconnu par les géologues près du village de Marsol. Cette phonolite de Compains présente une couleur particulière tirant sur le gris-verdâtre et ne se débite pas en lauzes.
Au nord, flanqué de son lac, le Montcineyre est un volcan récent (7000-6000 ans). De type strombolien , le Montcineyre a laissé, outre son cône de scories, une coulée (cheire) de lave fluide longue de sept kilomètres qui traverse le territoire communal pour s’achever au lieu-dit Le Verdier, dans la belle vallée de la commune voisine du Valbeleix.
La cheire du Montcineyre
(carte réalisée à partir d’un document B.R.G.M.)
Au sud de la commune, les traces d’une activité volcanique vieille de plusieurs millions d’années apparaissent notamment au Teston du Joran. On entre là sur le massif du Cézalier, vaste plateau basaltique fait de hautes terres couvertes d’herbages battues par les bourrasques de l’écir. Formé de couches de lave superposées, le Cézalier est un strato-volcan troué de maars, (des cratères, en allemand) consécutifs aux remontées de magma en fusion qui, rencontrant la croute terrestre et les nappes phréatiques, explosèrent en nombre dans la région. Ces maars prirent des apparences diverses (Montcineyre, lac d’En Haut à La Godivelle, maar peu visible à un oeuil non exercé, entre Brion et Compains.
La fin des glaciations au quaternaire récent laisse des sols rabotés, surcreusés, où les roches tendres ont été balayées dégageant les roches dures et provoquant des inversions de relief. Ces surcreusements glaciaires ont laissé place de nos jours à des lacs et à des tourbières.
…aux ressources rares
où on pratiquait une économie pastorale complétée de cultures vivrières,
Comme aujourd’hui, le bétail vaguait au XIVe siècle dans les herbages d’altitude dits chalms ou montagnes (montanas de Giorant). Ce mode d’exploitation adapté au climat est connu dès le premier millénaire par les écrits de Sidoine Apollinaire qui évoque le pastoralisme dans la région : au Ve siècle, ce sont des chèvres et des moutons qui estivent dans les montagnes. Les bovins n’apparaitront – semble t-il – dans la région que bien plus tard, vers la fin de l’époque mérovingienne (milieu VIIIe siècle). Hommes et bêtes devaient cohabiter avec des populations d’ours (jusqu’au XVe siècle), et de loups dont les derniers spécimens ne disparaitront d’Auvergne qu’au début du XXe siècle.
La nécessité de vivre au plus près des bêtes conduisit à disperser sur le finage étendu de la commune de nombreux mas étagés entre 1000 et 1200 mètres d’altitude. Si l’on excepte les villages de la vallée de la Couze (Compains, Escouailloux, Belleguette), la plupart des hameaux étaient situés en altitude, parfois, comme à Brion, à une altitude qui les situe en limite de zone habitable. Des fouilles pratiquées en contrebas du village de Cureyre entre 2014 et 2016 montrent les traces de constructions médiévales (hameau abandonné ?, fortin ?, poste de garde ?).
Des superficies cultivées infimes de sols pauvres devaient alimenter un maillage dense de manses dont le nombre, même s’il fluctua au fil des aléas de la conjoncture (climat, guerres, épidémies) apparait dans les textes du XIVe siècle peu différent de celui qu’on distingue du XVIIe siècle à nos jours. Bien qu’il soit impossible d’établir le nombre des feux présents dans ces manses au Moyen Âge, l’abondance de ces villages conduit à penser que la population de la commune de Compains n’était pas clairsemée.
Bourg des montagnes, Compains était situé à l’écart des grandes voies de communication qui traversaient l’Auvergne. Le village n’était pourtant pas plus enclavé que les communes voisines, si ce n’est durant la longue saison hivernale quand les contraintes climatiques isolaient la commune. L’obstacle à la circulation ne tenait pas au relief mais à la variabilité du climat qui y apportait la froidure, l’isolement et, les textes le montrent, le danger. Mieux valait ne pas être surpris dans la montagne quand survenait “l’échir” (écir). Sur ces hautes terres où les altitudes se répartissent entre 900 et 1350 mètres, le climat décale la date traditionnelle des saisons et impacte les paysages agraires. Imprévisible et rugueux toute l’année, le climat permet vers la fin mai l’arrivée d’un court printemps, parfois stoppé par un retour tardif de l’hiver qui pouvait décimer des troupeaux saisis par le froid au sortir de la chaleur des étables.
Doublement handicapé par une altitude élevée et des terres peu fertiles où prospéraient principalement les herbages et des arbres montagnards (hêtres et résineux), le terroir de Compains manquait de bois et de cultures. Isolés dans des montagnes peu peuplées où ils vivaient en semi-autarcie, les habitants avaient défriché, ne conservant que peu d’espaces boisés pour assurer le chauffage et la construction. Ils complétaient les produits de l’économie pastorale par une agriculture vivrière adaptée aux terres froides. On cultivait près des habitations des céréales, essentiellement du seigle, de l’avoine et de l’orge et quelques légumineuses, cherchant au marché voisin de Besse le vin du pays coupé, le sel et les produits de la plaine.
Les caractéristiques climatiques ont exercé une influence déterminante sur la commune dont l’activité hivernale se trouvait jusqu’au début du XXe siècle encore mise entre parenthèses durant des hivers fort enneigés et interminables. Proche du château de Brion mais sur la commune de Saint-Alyre-ès-Montagne, le lieu-dit La Volpilière peut encore être de nos jours le lieu d’une congère exceptionnelle en dépit du réchauffement climatique que nous connaissons depuis le milieu du XIXe siècle.
et une émigration hivernale
Ces dures conditions de vie furent à l’origine d’une importante émigration hivernale des hommes parfois accompagnés d’enfants, avérée dès le XVIIIe siècle dans la région de Compains.
Ne fallait-il pas diminuer le nombre des bouches à nourrir l’hiver pour permettre à la famille de faire face à la “jointure” printanière toujours redoutée ? On sait que, pour beaucoup, l’émigration devint définitive au fil du XIXe et du XXe siècle.
Marchand de peaux de lapins (collection personnelle de l’auteure)
Gravure de 1674 dont l’original se trouve à la BNF
Un commentaire sur “Pour planter le décor”
Votre site est tout à fait passionnant!
Bien cordialement.
Bernard Mareuge du village de Collanges près St Germain Lembron
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