Compains

Histoire d'un village du Cézallier

– Le lin, culture des montagnes (XVIIe-XVIIIe s.)

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      La culture du lin fut très anciennement pratiquée en Auvergne selon Pierre Charbonnier qui signale sa présence au XIe siècle dans la paroisse de Neuvéglise (Cantal), où une partie du cens payé par un tenancier du manse d’Orcières était constituée par du lin.

      Malheureusement, la rareté des sources ne permet de déceler le lin à Compains qu’à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle. Le lin commence alors à bénéficier de toute l’attention de l’Administration royale qui cherche à améliorer sa qualité et à en développer la production. Mais la faiblesse de l’économie d’échange, le refus d’évoluer d’esprits attachés à leur routine – selon un témoin du temps “ils sont hors d’état de concevoir quelque chose de mieux que ce qu’ils ont vu faire à leurs pères” -, et surtout le manque de moyens financiers pour développer une industrie locale du lin signeront l’échec de ces tentatives.

      Nous ne nous attacherons ci-après qu’aux sources afférentes au lin quoique son cousin le chanvre, avec lequel il a de nombreux points communs, ait été lui aussi abondamment produit à Compains et dans la région.

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Le lin d’après l’Encyclopédie  (Diderot – d’Alembert, 1751)

      Le lin est cultivé pour sa graine dont on extrait l’huile et pour sa tige dont on tire la matière textile. Plante annuelle mise en terre en mars-avril, elle offre l’avantage de se développer en quelques semaines et atteint sa maturité en trois mois. La plante présente la particularité d’ouvrir ses fleurs bleues tous les matins jusqu’à la mi-journée, heure à laquelle ses pétales tombent avant que d’autres fleurs ne refleurissent le lendemain matin.

      On plantait  une variété dite, lin froid, qu’on semait au printemps pour éviter les gelées. La semence, dont la meilleure qualité s’achetait en Flandre, devait être renouvelée tous les deux ans. Sans cette précaution, la plante dégénérait au point de ne plus pouvoir être utilisée. On cueillait le lin un peu vert, quand il grainait. D’une récolte très incertaine, il pouvait manquer plusieurs années de suite. Plante gourmande, ce “grain de mars” doit être cultivé en alternance avec d’autres végétaux “la même terre ne porte lin que tous les cinq à six ans. On ensemence autrement dans l’intervalle“, dit encore l’Encyclopédie.

Lin commun

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     La tige du lin fournit la filasse (fibre), la graine fournit l’huile. Une fois séché et battu, le lin est mis en bottes, puis on le fait rouir dans une eau courante environ une semaine. Roui, il arrivait qu’on séchât le lin au four après avoir cuit le pain, raconte Alfred Durand [La vie rurale dans les massifs volcaniques…1946]. Après avoir séparé la chenevote (paille), les fibres étaient alors prêtes à être peignées avant le filage hivernal de l’étoupe pratiqué au fuseau par les femmes. Le tisserand du village récupérait enfin le fil et tissait la toile à son domicile.

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Une culture fragile

      Le lin aime le froid et pousse rapidement, mais c’est une culture aléatoire dont la récolte peut manquer plusieurs années de suite. Sous l’Ancien Régime, quand des calamités climatiques avaient ravagé les cultures de la région, des “chevauchées” étaient diligentées par l’intendance d’Auvergne pour en connaître des dégâts subis et les évaluer. Des commissaires parcouraient à cheval les lieux dévastés de manière à estimer les pertes pour les cultivateurs. Cette évaluation permettait d’établir les “remises du roi”, des réductions d’impôts consenties en compensation du préjudice subi comme celui qui survint à Saint-Alyre-ès-Montagne en 1788 quand “les trois quarts du lin et autres menues récoltes” furent ravagées par les grêles.

      Pendant la Révolution, le Conseil du district de Besse regrettait que “pour la culture du lin, une seule récolte réussit sur cinq [à cause de] gelée, sécheresse, pluies. Puis quand on le fait sécher à l’air après sa récolte, neige et vent l’emportent”. Selon l’abbé ordinaire, en l’an XI, “c’est la sécheresse extraordinaire qui met en perte ce département, [le Puy-de-Dôme], de plus de la moitié de son commerce de toile, faisant passer le lin de 68 à 75 francs”.

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L’Administration tente de développer une industrie linière

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Encourager la culture du lin : une volonté politique

      Les rédacteurs des Mémoires envoyés par l’intendance d’Auvergne à Versailles ont coutume d’évoquer “les chanvres”. Ainsi, quand l’intendant d’Auvergne Lefèvre d’Ormesson dresse en 1697 son Mémoire sur l’état de l’Auvergne pour l’instruction du duc de Bourgogne (fils de Louis XIV), mentionne-t-il “les chanvres”, terme derrière lequel on peut penser qu’il incluait aussi le lin.

     L’impulsion donnée à la culture du lin est à mettre au compte de Colbert qui, durant le règne de Louis XIV voulut stimuler la production de lin et de chanvre dans le but de développer l’autosuffisance du royaume. Sans certitude, peut-être doit-on à cette volonté des autorités de voir apparaitre le lin à Compains dans le dernier quart du XVIIe siècle.

    Les années 1730 correspondent à un regain d’intérêt de l’administration royale pour dynamiser et réglementer la fabrique des toiles. Un Mémoire sur le commerce en Auvergne affirmait qu’avec les fromages et les bestiaux, l’un des principaux produits vendus au marché de Besse était le lin, cueilli aux environs. Selon l’auteur, (peut-être Godivel, le subdélégué de Besse), ce lin soi-disant “autant estimé que celuy que l’on tire des Flandres”, voyait la majeure partie de sa production achetée par les marchands d’Ambert qui l’employaient dans leurs fabriques.

       Lus et affichés dans les principaux lieux, des arrêts du Conseil d’État du roi accordaient aux habitants de la campagne le droit de fabriquer des toiles de lin ou de chanvre dans la généralité d’Auvergne. Par exemple, un arrêt de 1737 “permet aux tisserands en toile de fabriquer, vendre et débiter des droguets, bauges, tiretaines et autres étoffes grossières, dont la chaine sera composée de lin ou de chanvre et la trame de laine, à la charge pour eux de se conformer aux règlements de manufactures pour les largeurs, longueurs et marques desdites étoffes”.

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Filasse de lin

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Tentatives des intendants et des subdélégués des montagnes

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      L’Administration voulait former des artisans et ouvrir des manufactures. Dans l’Etat de l’Auvergne  qu’il présente en 1765 au contrôleur des finances à Versailles, l’intendant d’Auvergne Ballainvilliers fait remonter aux années 1730 l’introduction du lin dans la région de Besse. Cette culture nouvelle était, selon lui, peu connue d’habitants réputés routiniers et peu enclins à l’adoption de cultures ou de méthodes innovantes.  Les textes montrent cependant qu’il s’agit là d’une affirmation approximative de l’intendant : la culture du lin à Compains comme dans le Cézalier précéda – pour le moins – de plus d’un demi-siècle  l’estimation de l’intendant. Elle est avérée dans la documentation au moins soixante ans plus tôt et, peut-être, seule la rareté des sources empêche-t-elle de découvrir une plus grande antériorité à cette culture. Mais les toiles rugueuses “à l’usage des peuples” produites dans la région ne bénéficiaient ni de graines de qualité, ni des bonnes techniques culturales pratiquées dans le nord de la France et en Flandre où l’industrie linière était “très productive pour les flamands et très recherchée des espagnols comme objets d’importation dans leurs colonies d’Amériques”.

      Les intendants, relayés par les subdélégués sur le terrain, voulurent secouer cette production si peu dynamique pour que le lin devienne un atout pour la région. L’Administration montrait des objectifs louables et réalistes : on voulait former les femmes pauvres, les filles non encore établies, – et même les enfants ! – pour que les unes sortent de la misère et que les autres vivent mieux de leur travail.

Filer, occupation et revenu des femmes

       Filles à marier, épouses, veuves, toutes teillent (enlèvent l’écorce), cardent ou filent durant la longue morte saison hivernale pour produire les toiles de ménages qu’on retrouve en particulier dans les “constitutions” (dots) des filles qui se marient. Le père qui envisage que sa fille ne s’établisse pas, prévoit dans son testament qu’elle “aye sa demeure dans sa maison pendant son vivant et la place préparée à semer un carton graine de lin”. Traditionnellement et “suivant l’usage des lieux”, la pension de viduité prévoit pour la veuve “la place préparée a semer un carton de lin” ; de même, quand une sœur cède à son frère ses droits successifs, c’est à condition qu’il cultive sa vie durant ses héritages en laissant sa sœur “jouir d’une place de lin” dont l’achat et la semence resteront à la charge de la venderesse.

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L’Auvergne – Une fileuse et son rouet

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Propositions attribuées à Charles Godivel, subdélégué de Besse (1752)

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      Entrepôt régional, lieu d’échanges entre la plaine et les montagnes, placée au centre d’une région linière, la ville de Besse avait toute légitimité pour accueillir les premières expérimentations. En 1733, quand Besseyre, subdélégué de Besse, parle des tisserands de sa commune, il déplore que le lin produit dans sa région soit mal tissé et mal blanchi. Suivant les instructions royales, l’intendant Trudaine adresse à Besseyre en 1734 des échantillons de toile pour que celui-ci en fasse fabriquer de semblables dans sa subdélégation. Dès l’année suivante on déplore un échec et toute velléité d’amélioration cesse, tous voulant revenir à leurs pratiques traditionnelles.

Echantillons de toile de lin du XVIIIe siècle

conservés aux Archives départementales du Puy-de-Dôme

1 – Toile de lin crue au prix de 35 sols l’aulne

2 – Toile de lin blanchie au prix de 28 sols l’aulne parisienne sur les lieux

3 – Toile de lin blanchie faite à Bord du prix de 25 sols l’aulne

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     En 1742, on avait déjà envisagé l’établissement à Besse d’une communauté de sœurs de Saint-Joseph pour diriger une manufacture de fils de lin qui aurait donné du travail aux mendiantes. Sans succès. Godivel reprend l’idée et propose la création à Besse d’une manufacture qui regrouperait fileuses et tisserands. Successeur de Besseyre, Charles Godivel est en charge de la subdélégation de Besse en 1752, année où parait un “Mémoire bien détaillé et bien circonstancié” adressé à l’intendant dont il est vraisemblablement l’auteur. On y affirme que dans la subdélégation “on cueille du lin dans toutes les paroisses qui sont autour de cette ville” (Besse), et qu’“il se cueille environ quatre ou cinq cents quintaux de lin que les marchands d’Ambert viennent acheter dans le pais et dans les paroisses limitrophes”. Malheureusement, remarque le mémoire, par le passé on en récoltait bien davantage. Godivel tente d’analyser les causes de cette décadence et expose des idées innovantes pour aider à développer une filière lin.

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• – Les débouchés existent mais la qualité fait défaut

      Selon le mémoire, dans toutes les paroisses de la subdélégation de Besse, dont Compains faisait partie, il se cueille 400 ou 500 quintaux de lin [c’est à dire 25 tonnes puisqu’en Auvergne le quintal sous l’Ancien Régime valait 50 kg] et plus encore vers Bort, au bord de la Dordogne. Ce lin est acheté par les marchands d’Ambert et d’Aurillac avec l’objectif de fabriquer du fil pour les ouvrages des manufactures de Lyon. S’y ajoutent les marchands d’Ardes, de Saint-Flour et du Puy qui achètent quantité de toiles qu’ils revendent en Languedoc et en Bretagne. Les débouchés existaient donc bel et bien mais pour exporter il était nécessaire d’améliorer la qualité des toiles produites dans la région.

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• – Filer vaut mieux que porter du bois

     Pour gagner leur vie, les femmes pauvres, selon le mémoire, doivent porter du bois en hiver, activité épuisante, mais pourtant plus lucrative que le filage. Apprendre à filer au rouet plutôt qu’au fuseau améliorerait leurs conditions de travail en leur évitant de recourir à des travaux pénibles : “une fileuse ne peut a la vérité gagner que quatre ou cinq sols par jour et le gain n’est pas proportionné a celuy qu’elle ferait en portant du bois…elle déchire ses habits, se fatigue beaucoup et a besoin de plus de nourriture qu’en filant…”. Tout changerait donc si on établissait à Besse une manufacture de fil qui donnerait de l’ouvrage aux femmes et aux filles “désoeuvrées” ; elles “doubleraient leur profit” par rapport à ce que leur rapporterait le filage au fuseau. Et l’auteur du mémoire de conclure qu’“on demande de toutes parts du fil à acheter et les marchands qui viennent ici faire des emplettes de lin seraient charmés de le trouver filé”.

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Besse et Saint-Anastaise – Eglise Saint-André

Miséricorde d’une stalle du chœur : la femme est au rouet, l’homme tient un fuseau (fin XVIe s.)

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• – Du fuseau au rouet

      Plutôt que de vendre le lin brut qu’on filera ensuite à Ambert, L’idée est donc de faire filer du fil de meilleure qualité sur place à Besse par les femmes de la région. Celles-ci œuvreraient au filage dans la fabrique de toiles, tandis que les hommes tisseraient dans l’atelier de tissage. Il faut avant tout moderniser le matériel utilisé jusqu’à présent. Pour augmenter la qualité “des toiles, du linge de table, des dentelles, des mouchoirs, des liens, des lacets…”, et pour obtenir  un produit à valeur ajoutée – du lin fin – qu’on vendra plus cher,  les fileuses vont devoir passer du fuseau au rouet.

• – Former les fileuses

      La main d’œuvre de la manufacture pourrait être constituée d’une douzaine de fileuses, choisies dans “les familles les plus pauvres et les plus riches en filles”, qu’on formerait à utiliser le rouet. Au bout de trois mois, il se trouverait ainsi dans chaque famille pauvre de Besse et des villages environnants, une fille expérimentée capable d’initier ses sœurs et ses voisines au maniement du rouet.

• – Les tisserands

      Le projet n’oubliait pas les tisserands qui exerçaient une profession réglementée. Dispersés dans les villages de la région de Besse, ils pratiquaient leur activité artisanale à domicile. Ainsi voit-on en 1737, un arrêt du Conseil royal autoriser les tisserands à fabriquer et vendre partout dans le royaume des étoffes grossières, dites droguets, bauges et tiretaines “servant à l’usage du menu peuple, dont la chaine [sera] composée de lin et de chanvre et la trame de laine“.

       Selon l’usage du pays, les tisserands tissaient des toiles grossières mais résistantes qui répondaient bien aux besoins des ruraux. Pour l’auteur du Mémoire, les tisserands devraient avoir leur place avec les fileuses dans la manufacture où ils travailleraient regroupés dans un atelier de tissage où ils encadreraient et formeraient de jeunes apprentis.

• – Echec du projet

      Malheureusement, la création de la manufacture allait se heurter à des obstacles insurmontables dont le pire, cette fois, ne fut pas le caractère parfois buté des auvergnats. La ville de Besse qui finançait déjà difficilement son hôpital, ne put réunir à elle seule les ressources nécessaires à la création d’une manufacture. Le projet requerrait, dans une première étape, l’achat de rouets. Il faudrait ensuite nourrir pendant trois mois une douzaine de fileuses, le temps qu’elles apprennent à filer convenablement au rouet.

      Dans un premier temps, on réussit à réunir quelques “fonds de charité” qui se révélèrent insuffisants “pour faire les emplettes nécessaires, et pour nourrir les pauvres qui seront employés dans la manufacture jusques à ce qu’ils pourront y gagner leur vie par leur travail”. On espéra ensuite de l’intendant qu’il “avance quelques petits fonds” et qu’il “donne quelques rouets”. Par manque de financement, le projet en resta au stade de l’ébauche.

      L’idée allait être reprise quelques années plus tard par M. Gros, curé de Besse, avec toujours un objectif social : tirer des pauvres de leur oisiveté supposée et de leur misère réelle. En 1759, la tentative du curé fut encouragée par l’intendant Ballainvilliers. On acheta du lin et des rouets à lin. Différent du rouet utilisé pour la laine et le coton, le rouet à lin était plus petit et tournait avec le pied. Par malchance, les rouets se révélèrent défectueux. La perspective de ressources complémentaires pour les familles pauvres s’éloignait à nouveau. On revint à l’usage du fuseau, plus simple, moins onéreux et la filature ne vit toujours pas le jour.

Echantillons de toile de lin (XVIIIe siècle)

conservés aux Archives départementales du Puy-de-Dôme

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      Simultanément, les autres subdélégations d’Auvergne n’étaient pas en reste. Tant à Bort (aujourd’hui Bort-les-Orgues), qu’à Issoire, on chercha à valoriser le lin en améliorant sa qualité. Sans plus de succès qu’à Besse.

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A COMPAINS

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Le lin des montagnes : un textile grossier réservé à la consommation locale

      On vient de voir que, de l’Auvergne, sortait principalement une production de toiles de lin, des toiles grises et, disent les sources, des “métadières de ménage”, c’est à dire des toiles dont la chaine et la trame étaient en fil de lin (Littré).

       Produit, filé et tissé sur place à Compains, le lin répondait essentiellement à la demande locale en pourvoyant les familles de textiles grossiers mais résistants et aptes à supporter les travaux des champs. Tout en confortant l’autarcie dont avaient l’habitude de s’entourer les habitants, le lin répondait aux besoins de la maisonnée en fournissant des textiles rustiques qu’on conservait sa vie durant. Les minutes notariales témoignent de ces “linceuils” (draps), ou de ces “menus linges” et autres “coettes et cuissins” qui composaient le trousseau des filles dans la plupart des contrats de mariage et que, si nécessaire, on n’hésitait pas à transmettre à la génération suivante. Peu exportables en raison même de leur rusticité, ces “toiles de ménage”, dites aussi “toiles d’usage”, fabriquées pour la consommation locale étaient dédaignées des bourgeois en dépit de leur solidité à toute épreuve qui assurait leur succès dans les campagnes.

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Où cultivait-on le lin ?

       Dans son Histoire de l’Auvergne, Pierre Audigier (1659-1744) observe qu’ “on sème du lin aux environ de Blesle, de Mauriac et de Salers”, une affirmation trop limitée au Haut Pays qui ne cite pas l’autre terre linière de l’Auvergne, la Basse Auvergne. On dirait aujourd’hui que la culture linière était pratiquée dans le Puy-de-Dôme et le Cantal. A Compains, à la frontière du Cantal, comme sur les terres de l’Artense et du Cézalier, chaque hameau ou presque (on disait village dans la langue rurale), était un lieu de production du lin. De Brion à Malsagne et Graffaudeix ou de Marsol à La Fage, beaucoup possédaient leur “cartonnée de terre” où était ensemencé un “carteron de geynes de lin”.

      A Egliseneuve, on n’était pas en reste. Dans un délibératoire d’octobre 1770, les habitants déplorent que les rigueurs d’un long hiver suivies de pluies froides de printemps n’aient pas permis de recueillir “ni grains, ni lins”, catastrophe qui provoqua une émigration hivernale précoce et massive.

       A Saint-Alyre-ès-Montagne, apparaissent parfois dans les contrats de mariage des plus aisés des “aulnes de toile fine de lin”, sans doute achetées lors des foires puisque le lin produit sur place n’était qu’une toile grossière réservée aux vêtements du quotidien.

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Depuis quand cultive-t-on le lin dans la région de Compains ?

      On a vu plus haut que la culture du lin était pratiquée depuis le Moyen Âge dans le Cantal. Si cela fut le cas à Compains, faute de sources plus anciennes, les textes ne viennent pas l’attester avant la seconde moitié du XVIIe siècle. Comment savoir le lin était cultivé à Compains au XVIe siècle ? La rareté de la documentation au début de l’Époque Moderne a conduit à élargir le périmètre de notre recherche au territoire de la paroisse d’Egliseneuve d’Entraigues qui jouxte Compains au midi. Claude d’Urfé est alors  seigneur d’Entraigues (XVIe siècle). L’examen du terrier de la baronnie d’Entraigues (registre contenant la description des terres et censives) ne laisse apparaitre aucune culture du lin à Egliseneuve, contrairement à ce qu’on constatera dans cette paroisse deux siècles plus tard. Sans certitude, l’absence de lin à Egliseneuve laisse à supposer qu’il pourrait en avoir été de même dans la paroisse voisine de Compains où les cultures sont peu différentes.

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Le lin dans quelques actes notariaux des compainteyres

      C’est dans les actes notariés (contrats de mariage, testaments, inventaires) qu’apparait le lin dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Quelques exemples parmi bien d’autres :

1675 – contrat de mariage Jean Roux joye (Compains-Belleguette) – Françoise Roche : “douze aulnes de toile de lin”, [aulne ou aune : environ 1m. 88].

1680 – contrat de mariage Jean Papon (Besse) – Jeanne Merle (Compains-La Ronzière) : “un coffre fermé et garni de six lincaux [draps] de toile d’estoupe” [on filait de l’étoupe, résidu de la fibre textile obtenu lors du traitement de la filasse du chanvre ou du lin].

1692 – contrat François Bapt (Saint-Anastaise) – Isabeau Barbat (Compains-Belleguette) : “vingt aulnes de toile de lin”.

1694 – Testament de Jacques Boudier (Compains-Belleguette) : “dix aulnes de toile de lin”.

1703 – Contrat Jean Verdier (Compains-Marsol) – Catherine Eschavidre (Marsol) : “dix aulnes de toile de lin”.

1703 – Contrat Jean Roux (Compains-Belleguette) – Jeanne Martin (Marsol) : “six aulnes de toile de lin”.

1704 – Contrat Jean Morin (Compains-Marsol) – Françoise Martin (Marsol) : “quatre livres de lin paigné”.

1710 – Contrat Georges Roux (Compains-Belleguette) – Charlotte Blanchier (Compains) : “un quarton de lin…tant qu’elle demeurera sa veuve”.

1711 – Contrat Claude Vallon (S.A.E.M. Jassy) – Catherine Taphanel (S.A.E.M. Jassy) : “deux robes, l’une de drap de maison, l’autre de drap marchand”.

1726 – Contrat Jean Verdier (Compain-Marsol) – Catherine Guérin (Compains) : “une cartonnée de terre pour ensemencer un carteron grene de lin”.

1726 – Contrat Antoine Bouhaud (Mazoires) – Catherine Verdier (Compains-Brion) : “la toille de quatre draps de lin”.

Extrait du contrat de mariage de

Pierre Morin (Compains) – Anne Eschavidre (Compains-Marsol)

” …en cas de viduité, ledit futur époux donne de pension viagère a ladite future espouse pendant sa viduité tant seulement scavoir sa demeure dans sa maison du coté de la cheminée, son chauffage, son usage dans le jardin potager, une quartonée dort [jardin] à chanvre, la terre préparée pour ensepmencer un carton graine de lin, quattre chards de foin a prendre sur le plus clair et liquide de son bien, vingt livres de beurre…”

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Le lin dans les baux

      Le lin ne devait pas occuper les meilleurs herbages, réservés aux bestiaux. Un bail en 1738 précise que le lin devra être planté seulement “dans les endroits les plus arides” de façon à laisser aux bêtes les plus riches pâturages. Le preneur s’engage à fournir “vingt livres de lin bien peigné…ou dix sols pour chaque livre de lin, au choix”, ainsi que “la terre préparée et ensemencée deux cartons et demy graine de lin”. En 1748, lors du bail du Pré Rigaud, les preneurs devront livrer “vingt-cinq livres de lin bien peigné” et “la place préparée a semer un carton graine de lin”. En 1759, le notaire et procureur d’office de Compains et Brion, Pierre Morin et son gendre François Blanchet, baillent à François Tartière des héritages leur appartenant situés à Malsagne et la Berche moyennant notamment la fourniture de 12 livres de “lin bien peigné”.

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Récolte du lin

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DANS LES PAROISSES VOISINES DE COMPAINS

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Egliseneuve d’Entraigues

      De décennie en décennie, les intempéries génératrices “d’émotions” populaires s’enchaînent au XVIIIe siècle. Alors que les années 1770-71 sont marquées par une forte pluviosité, de mauvaises récoltes et la disette, les consuls de “Gliseneuve près Condat” (Egliseneuve d’Entraigues), où se tiennent dorénavant d’importantes foires aux lins, déplorent que les pluies froides n’aient permis de cueillir “aucuns grains ni lins”.

Saint-Alyre-ès-Montagne

       Alterner le lin, très gourmand, avec d’autres cultures était une nécessité. Une délibération des habitants de Boutaresse en 1756 montre que les habitants changent chaque années de parcelle pour cultiver le lin, en alternance notamment avec le seigle. En 1803, sur cinquante exploitants à Boutaresse, près de vingt plantent du lin. D’autres sèment d’importantes surfaces, tel Jean Salinas qui sème jusqu’à 16 cartonnées (environ 7500 m2) en un temps où la majorité n’exploite que de petites parcelles. La région était soumise à de violents dérèglements climatiques. Après une terrible grêle en 1788, les villageois de Saint-Alyre perdent les trois quart de leur récolte de lin. L’année suivante c’est un villageois du hameau d’Auzolle qui perdait tout son lin, mais cette fois c’était dans l’incendie de son bâtiment.

La Godivelle

      On n’hésitait pas à grignoter les communaux pour planter du lin, des empiètements qui suscitaient parfois les remords des coupables eux-mêmes. Ainsi en 1759 voit-on les habitants de La Godivelle, conscients de leurs abus, qui décident de s’entendre et promettent de ne plus semer de graines de lin dans le tènement réservé au pacage des vaches.

Saint-Anastaise et Picherande : une dîme de lin pour le curé

       Les pouillés du XVIIIe siècle ne font pas paraitre à Compains le paiement d’une dîme de lin au curé. Par contre, dans la paroisse voisine de Saint-Anastaise, quand il résigna sa cure en 1746, le curé Blaise Champeix détenait 140 aulnes de toile de lin commune (aulne : environ 1m 80), montrant qu’il était sans doute bénéficiaire d’une dîme de lin payée par ses ouailles non en lin brut, mais en toile de lin utilisable soit pour les besoins de l’autel, soit pour la revente.

     A Picherande, le curé touchait pour sa dîme de lin environ deux quintaux de lin, soit 100 kg puisque le quintal à cette époque valait 50 kg.

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ANNEXE

Tentatives de valoriser le lin dans les subdélégations de Bort et d’Issoire

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      Partout où poussait le lin, et en particulier dans les subdélégations de Bort et d’Issoire, on tenta comme dans la subdélégation de Besse de créer des manufactures. Sans plus de succès

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A Bort (aujourd’hui Bort-les-Orgues)

M. de Mallesaigne, subdélégué de Bort, voulait lui aussi développer la valorisation du lin en se fondant sur le grand nombre de villages liniers de l’Artense et du Cézalier : à Saint-Donat, Egliseneuve et Condat on trouvait “quantité de lin dans ces paroisses”, à Saint-Genès-Champespe et Entraigues où “les lins sont plus beaux dans ces paroisses”, à Picherande où “le terrain y est plus propre pour cette récolte qu’en nul autre lieu”, à Montgreleix dont “la récolte y est moins abondante”, enfin à Chastreix, Marcenat, Aubijoux, La Rode, moins bien dotés, “il s’y recueille une petite quantité de lin, laquelle suffit à peine pour l’usage des habitants”.

     La plupart de ces villages produisaient un lin à bas prix qui ne se débitait que dans la région et à bas prix, ce qui n’incitait pas les paysans à produire mieux. Pourtant, Mallesaigne estimait que sa subdélégation était capable à elle seule d’alimenter de ses lins une manufacture, aussi considérable soit-elle. Il fit fabriquer des toiles conformes aux échantillons envoyés par l’intendant, sans grand succès cependant car “le bas prix du lin, qui est communément de six sols la livre de 16 onces, dégoute les propriétaires de cette culture” et malheureusement “le défaut du débit empeche les habitants de cultiver toutes les terres qui peuvent en produire”. On était dans un cercle vicieux.

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A Issoire

     A Issoire, le subdélégué Lafont de Saint-Marts envisageait lui aussi de créer une manufacture de toiles de lin pour valoriser la production de lin cultivé “aux portes de la ville”. Comme à Besse, l’objectif n’était pas qu’économique, il était aussi social : on souhaitait que les femmes, les filles et les enfants pauvres puissent s’adonner à un travail de filage, “ce qui retirera d’une triste et misérable oisiveté quantité de femmes, de filles et de jeunes enfants que l’on dressera à filer au rouet pour leur procurer des moyens de subsistance”.

      Plus peuplée et plus développée que Besse, Issoire avait un marché intéressé par une production de lin de qualité, des lins fins, destinés à “faire des toiles de distinction”. Lafont en était bien conscient : “on ne doit pas donner dans le commun afin d’avoir un débouché  considérable pour le débit”. Une fois encore, l’absence de qualité dressait des obstacles difficilement surmontables.

Jean-François Millet – La cardeuse (vers 1854)

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A Saint-Anastaise et Picherande : une dîme de lin pour le curé

      Les pouillés du XVIIIe siècle ne font pas apparaitre à Compains la perception d’une dîme de lin par le  curé. Dans la paroisse voisine de Saint-Anastaise, le curé Blaise Champeix quand il résigna sa cure en 1746 détenait 140 aulnes de toile de lin commune, montrant qu’il était sans doute bénéficiaire d’une dîme de lin payée non en lin brut, mais en toile de lin utilisable pour les besoins de l’autel et la vente. A Picherande, le curé touchait pour sa dîme de lin environ deux quintaux de lin.

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POURQUOI UN TEL ÉCHEC DES PROJETS ?

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       Cherchant à donner suite aux  incitations royales les intendants, relayés sur le terrain par leurs subdélégués,  montraient les mêmes objectifs louables et réalistes : on voulait former des femmes pauvres, des filles non encore établies, et même des enfants pour qu’ils puissent sortir de la misère pour les uns, mieux vivre de leur travail pour les autres. Dans ce but, les administrateurs voulaient secouer une production sommeillante et lui procurer de la valeur ajoutée.

       Pourtant pavés de bonnes intentions, les projets de modernisation avaient tous buté sur des obstacles qui ne purent être surmontés et dont le principal fut vraisemblablement le manque de financement. Sans le nerf de la guerre, rien n’est possible. A Besse, on n’évalue pas le montant global de l’investissement à réaliser. A Issoire, Lafont chiffre le projet à sept ou huit mille livres. Malheureusement, à Issoire pas plus qu’à Besse, “il n’y a personne…qui soit assez opulent pour faire cette entreprise”, déclare le subdélégué d’Issoire.

      Le deuxième obstacle, on l’a vu, fut sans doute celui des mentalités. Comme l’observent à de multiples reprises les administrateurs de l’Auvergne ou les voyageurs qui traversent le pays, chaque génération d’Auvergnats pensait qu’elle ne pouvait faire mieux que ses pères : “tel est l’empire de l’habitude sur l’esprit du cultivateur de ce pays : esclave de la routine, il n’ose se détourner de la route tracée dans la crainte de s’égarer, il ne veut travailler autrement que n’ont travaillé ses aïeux”.

       On ajoutera une troisième cause de démotivation : le bas prix de vente du lin. Selon le subdélégué de Bort, “le bas prix du lin qui est communément de six sols la livre de 16 onces, dégoute les propriétaires de cette culture”. Rebutés par le bas prix de vente du lin les cultivateurs n’étaient guère motivés pour améliorer la qualité de leur lin, condition pourtant indispensable pour en augmenter le prix de vente.

       Alors que la main d’œuvre à employer ne manquait pas, la détermination politique fit probablement défaut, découragée par le manque de moyens financiers et l’absence d’adhésion de la population d’où n’émergeait aucune velléité d’innover, si ce n’est dans la faible frange la plus “éclairée” du pays. Conjugués, ces obstacles bloquèrent la modernisation. Comme l’observèrent à de multiples reprises les administrateurs de l’Auvergne du siècle des Lumières, chaque nouvelle génération d’Auvergnats pensait qu’elle ne pouvait faire mieux que ses pères.

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DÉCLIN DU LIN

       Le lin commun auvergnat déclina progressivement avant de s’effacer des montagnes. Vers la fin du XXe siècle, il fut supplanté par les importations de lin fin venu de Russie, d’Italie et de Flandre.

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